Réserves naturelles : virée sur une éponge anti-inondations

Avec ses soixante hectares de vallée ardennaise préservée, la réserve naturelle de l'Emmels constitue un vaste refuge, notamment pour les oiseaux des prés.
par
Camille
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1er juin. La Cité Ardente est éteinte par les trombes d'eau. La région est inondée. Les coulées de boue submergent de nombreuses routes. Bétonisation à outrance, compactage des sols, disparition des haies et des bandes herbeuses, canalisation des cours d'eau: les causes sont connues de longue date.

Et nous voilà au beau milieu de la réserve naturelle Natagora de l'Emmels, dans la commune d'Amblève, au sud de la province de Liège. Au milieu de la prairie, l'eau arrive à mi-bottes. «Bienvenue dans notre rizière!» lâche, tout sourire sous son parapluie, Alexander Rauw, chargé des réserves de la région. Nous sommes aux sources de l'Emmels, un affluent de l'Amblève. Plus de 100ha de terrain protégé s'enchaînent en un seul bloc, qui forme une formidable éponge particulièrement utile sous cette météo diluvienne.

Ph. B. Legrain

Un rôle clé de gestion des eaux

Le WWF néerlandais ne s'y est pas trompé, qui a financé il y a plusieurs années des travaux de restauration dans la vallée. Le programme avait pour but de restaurer les zones de sources afin d'éviter les inondations plusieurs dizaines de kilomètres en aval, aux Pays-Bas. Les réserves naturelles, particulièrement en fonds de vallée, jouent ainsi un rôle clé dans la gestion des eaux, ralentissant les crues et absorbant les trop-pleins.

Et sur ces zones, qui ne sont pas plantées d'épicéa ou de maïs et jamais amendées, se développe une biodiversité exceptionnelle. Marc Jacobs, conservateur de la réserve, attire ainsi notre attention sur un petit oiseau discret qui s'élance dans le ciel et retombe en planant, ailes ouvertes et queue relevée. Il s'agit du pipit farlouse, dont quelques couples nichent dans la réserve. Une de ces espèces liées aux milieux agricoles dont les effectifs se sont écroulés ces dernières années. Ici, les oiseaux des prés se portent plutôt bien, profitant des grands espaces ouverts de la réserve. Tarier des prés, bruant des roseaux, rousserolle verderolle ou locustelle tachetée nichent au sol, se cachent dans les herbes.

Ph. B. Legrain

Une pelouse de nard et d'arnica

Vu les niveaux de l'eau, nous grimpons à plusieurs reprises sur le Ravel de la Vennbahn, qui surplombe la réserve. Il offre aux passants une vue de choix sur le paysage recréé par Natagora. Çà et là, quelques taches orange soulignent la présence des premiers pieds d'arnica en fleur. À ses côtés, on retrouve des zones de sphaignes, des touffes de nard ou de fenouil des Alpes.

Le ballet des nacrés

Et voilà que le soleil se décide enfin à faire son apparition, alors que nous sommes au beau milieu d'une vaste prairie à bistorte, en compagnie de vaches highlands qui pâturent paisiblement le surplus de végétation. Nous ne pouvions tomber mieux. Profitant de la chaleur, quelques papillons orange se mettent à virevolter. Un, deux, puis plusieurs dizaines de nacrés de la bistorte nous entourent.

Les iris du castor

Plus en aval, l'Emmels est encore fort gonflée. Quelques habitants observent le spectacle depuis un petit pont. Derrière s'étend un plan d'eau, créé par la présence du castor, au milieu duquel s'épanouissent de belles touffes d'iris. Marc apprend à une habitante âgée du village que les couleuvres à collier apprécient particulièrement l'endroit. Sous une plaque chauffée par le soleil se prélassent d'ailleurs deux belles couleuvres. L'odeur que dégage le reptile lorsqu'on le prend en main est épaisse, proche de celle d'un poisson en putréfaction. Il s'en sert comme défense pour repousser les prédateurs.

Marc emmène de temps à autre des enfants des environs pour leur montrer ce qui se cache sous ces plaques et pour emprunter un petit sentier pédagogique créé à leur intention. On y croise même d'anciennes buttes d'orpaillage façonnées par les Gaulois puis lors d'une brève ruée vers l'or à la fin du 19e siècle. Aujourd'hui, la plus belle pépite n'est pas faite de métal précieux mais bien d'une riche biodiversité qui a recolonisé la vallée.

Benjamin Legrain