Dans «Athena», Romain Gavras filme l’étincelle d’une guerre civile en France

Romain Gavras réinvente le film de guerre avec «Athena», à voir sur Netflix.

par
Stanislas Ide
Temps de lecture 5 min.

Accrochez-vous, ‘Athena’ de Romain Gavras (‘Notre jour viendra’) vient d’arriver sur Netflix et ça déménage! Coécrite avec son compère Ladj Ly (‘Les Misérables’), cette plongée immersive dans une cité de banlieue française en feu utilise les codes du film de guerre pour tendre un miroir droit vers notre actualité. Rencontre depuis la Mostra de Venise, où ‘Athena’ a enflammé le tapis rouge.

Comment est née l’idée de ce film de guerre dans une banlieue parisienne?

Romain Gavras: «C’est venu de Ladj Ly (coscénariste de ’Athena’, et réalisateur des ’Misérables’, Ndlr) et moi. L’idée générale était de suivre l’étincelle qui peut enflammer toute une nation, et de vivre ça via l’intimité d’une fratrie déchirée par la colère. Le deuil des trois aînés envers leur petit frère fait basculer tout le quartier fictionnel d’Athena, et puis carrément la France entière. Tout ça en suivant les codes de la tragédie grecque, et en jouant avec le symbolisme des guerres passées pour dépasser le réalisme.»

C’est aussi biblique alors?

«En certains points, bien sûr. Mais les tragédies grecques prédatent la Bible… Un journaliste anglais me faisait remarquer que le film était shakespearien. Ça l’est, mais il a quand même tout pompé aux Grecs (rires)!»

Athena est aussi un film de guerre global, avec des éléments belliqueux tirés de l’Empire romain, du Moyen-Âge,etc.

«C’est tout à fait ça. On pense à Rome quand les policiers utilisent leurs boucliers pour entrer en formation de tortue et se protéger. Une technique qui n’est jamais utilisée de nos jours. Et la cité d’Athena est filmée tel un château médiéval pris d’assaut. On a intentionnellement placé de marqueurs visuels et des symboles très différents pour sortir l’histoire d’une temporalité spécifique. Parce que ce conflit, il n’a pas d’âge ni d’époque. Tout conflit, où qu’il se déroule dans le monde et peu importe l’époque, aura toujours la même architecture. Au début, il y a toujours une série d’événements réveillant une douleur intime. Ceux-ci débordent ensuite vers un conflit ouvert et englobant.»

C’est aussi un sacré film d’action, avec une scène d’ouverture à couper le souffle…

«Très vite, on a décidé de réaliser une expérience immersive à l’intérieur de cette étincelle. On voulait vivre l’action en temps réel avec les personnages. Ils n’ont pas le temps de réfléchir, et on a voulu mettre le spectateur dans la même position. Pour qu’il se sente réagir à vif plutôt que d’analyser. Même si au bout du compte c’est une histoire de jeunes face à la police, en train de pointer des feux d’artifice vers l’autorité.»

Craignez-vous des débordements sociaux à la sortie du film?

«Pas vraiment. Je ne pense pas que le cinéma, les jeux vidéo ou le rap ne rendent les jeunes violents. Les films sont un reflet de notre époque mais ce qui rend la jeunesse violente c’est le manque d’éducation. La colère, justifiée ou non, c’est là qu’il faut gratter. Quand un mec a se déguise en Batman et va tirer sur des spectateurs dans un cinéma aux USA, je ne crois pas que ce soit la faute de Batman. Cela peut sembler étonnant si l’on pense au père que j’ai eu (le cinéaste militant Costa-Gavras, Ndlr), mais je ne crois pas que les films peuvent changer le monde. Les films peuvent nous faire fumer des clopes parce que Marlon Brando a l’air cool en le faisant. Ça oui, mais ça s’arrête là.»

Mais les films de votre père n’ont-ils pas changé le monde, justement?

«Eh bien regardez le monde aujourd’hui… (rires)! Il est le premier à le dire. Lui et sa génération de cinéastes pensaient vraiment que le cinéma pouvait rendre le monde meilleur. Aujourd’hui, c’est dur à croire. Moi je suis un peu plus jeune, j’ai plus d’espoir que lui, même si j’ai choisi la forme d’une tragédie pour raconter cette histoire. C’est hyper pessimiste mais j’y trouve sans doute une valeur cathartique. Bref, les jeunes qui regarderont le film jusqu’au bout verront où l’histoire aboutit.»

Notre critique d’«Athena»:

Les guerres sont-elles toutes les mêmes? Quand ‘Athena’ démarre, la pression monte tellement vite qu’on n’a pas le temps de se poser la question. À travers un plan-séquence absolument renversant, on est plongés dans le braquage d’un commissariat de police par un groupe de jeunes poussés à bout, avant de les suivre en van jusqu’à leur cité de banlieue, qu’ils ont barricadée pour accueillir la riposte des autorités comme il se doit. Réalisé par Romain Gavras (‘Le Monde est à toi’) et coécrit par Ladj Ly (‘Les Misérables’), ‘Athena’ transcende le genre franco-français du ‘film de banlieue’ pour mieux réinventer le film de guerre. Les casseurs parés à l’attaque n’évoquent-ils pas des seigneurs médiévaux dans leurs châteaux forts? Les policiers se protégeant en formation de tortue ne font-ils pas penser aux légions romaines? Si Gavras tire un peu trop sur la corde de l’esthétisme après son ouverture renversante, ‘Athena’ demeure une expérience de cinéma inédite et interpellante, à voir sans bouclier. 3/5