Rencontre avec Cœur de pirate pour la sortie de son nouvel album: «Mes chansons sont un exutoire»

Voilà plus d’une décennie que Béatrice Martin, aka Cœur de Pirate, s’est imposée dans le paysage musical. L’artiste dévoile «Impossible à aimer», son nouvel album qui sortira le 15 octobre. Entre ballades au piano et une pop aux airs de disco, la Montréalaise nous embarque dans son univers unique et poétique.

par
Oriane Renette
Temps de lecture 6 min.

Il y a quelques mois, vous avez subi une opération des cordes vocales. Comment avez-vous vécu cette période?

« Pour n’importe qui, c’est une opération assez mineure. Tout dépend de la guérison. J’ai quand même eu un petit stress de ne pas guérir de la bonne façon. Ça a été silence complet pendant deux semaines, je n’ai pas pu parler pendant un mois et je n’ai pas pu chanter pendant des mois après. C’était un peu aliénant. Mais finalement, j’ai super bien guéri. J’ai aussi eu un stress avant de commencer la tournée, mais le show est conçu pour que je puisse bien chanter et tout se passe bien ! »

Après Perséides, un album musical, on retrouve donc votre voix sur «Impossible à aimer». D’en avoir été privée, est-ce que cela a apporté quelque chose de nouveau à votre pratique artistique?

«Oui, complètement, ça a changé ma perception dans la composition. Cet album est plus dénudé, plus dépouillé. J’ai compris que je n’avais pas besoin d’autant d’artifices pour faire de la bonne musique. ‘Perséides’ m’a appris à laisser le temps de respirer. De faire assez avec pas grand-chose. Ça fait énormément de bien.»

À travers vos albums, vous explorer le sentiment amoureux dans toute sa complexité. Est-ce que l’on cesse un jour de s’interroger sur l’amour?

«Jamais. On s’interroge constamment, aussi parce que le sentiment amoureux évolue. Avec les années et les rencontres, la perception de l’amour change elle aussi. Auparavant, j’étais dans un truc très passionnel et enflammé. Aujourd’hui, j’envisage plutôt l’amour comme un partenariat. Et c’est tout aussi beau.»

Vous chantez souvent les ruptures. Pourtant, le premier single s’intitule «On s’aimera toujours». C’est inspiré de ce que vous vivez aujourd’hui?

«Ce morceau est la conclusion de mes réflexions portées sur l’album. Il s’appelle ‘Impossible à aimer’ parce que j’y ai revisité toutes mes ruptures et déceptions amoureuses, en essayant de savoir si c’était moi le problème. La conclusion est ‘On s’aimera toujours’. C’est-à-dire que quand tu rencontres quelqu’un avec qui ça vaut vraiment la peine, cette personne fait fi de tous tes défauts, de ce que tu as vécu et puis saute à pieds joints dans l’aventure.»

Tous vos titres sont inspirés de votre propre expérience?

«Absolument oui. D’abord parce que je ne me verrais pas parler de la vie des autres. Ensuite, parce que c’est une forme de thérapie, d’exutoire pour moi. Et, je l’espère, pour ceux qui les écoutent.»

Il y a d’ailleurs un morceau très puissant sur cet album, «Dans l’obscurité». Quel est le message que vous avez voulu véhiculer?

«J’ai eu une relation avec une femme transgenre, il y a quelques années. Ça a été vraiment très difficile à traverser pour moi, publiquement. Moi j’étais dans une bulle d’amour. J’étais en couple avec quelqu’un et tout me semblait OK. Mais j’ai fait face à beaucoup de haine de la part de pas mal de gens. Ça m’avait vraiment marquée. Et je pense que c’est quelque chose auquel les gens de la communauté queer sont quotidiennement confrontés. C’est pour ça que c’est important de s’affirmer. Et j’avais besoin d’en parler en chanson, ce que je n’avais pas encore fait.»

Dans cet album, il y a un ton assez direct, peut-être plus qu’avant (notamment dans « tu peux crever là-bas) ? On s’affranchit avec l’âge ?

« Oui, et puis il y a une forme de laisser-aller. Cette chanson-là, c’est aussi pour exprimer une colère. La déception que tu ressens au début d’une rupture. Or, si la personne revient dans ta vie, c’est important de se rappeler à quel point tu as eu mal. Cette chanson est une fantaisie, je ne souhaite de mal à personne. Elle peut sonner un peu violent, mais c’est important d’avoir ce côté aussi brutal, parce que comme ça tu ne refais pas les mêmes erreurs après (rires). »

Vous évoquez également la rupture dans « Le monopole de la douleur ». Votre message, c’est qu’il n’y a jamais de gagnant?

« C’est sûr qu’il n’y a jamais de gagnant. Et quand tu parles avec quelqu’un avec qui tu romps, la personne a tendance à ne jamais percevoir ton point de vue. La douleur prend le dessus. C’est une vision très égocentrique de la situation, toujours. C’est de ça dont je voulais parler. Je n’avais jamais entendu de chanson dans laquelle on entend les deux voix, une chanson qui se voulait vraiment une conversation entre deux personnes. J’avais envie de la faire. »

Comment est-ce que vous vivez cette étiquette de chanteuse de morceaux tristes et mélancoliques ?

« J’aime ça, être la chanteuse de chansons tristes. (rires) Et puis, il en faut bien une qui fasse des chansons tristes d’amour et cela me va très bien que ça soit moi ! »

Vous êtes depuis peu à la tête d’une maison de disques, Bravo. C’est un nouveau challenge pour vous?

«C’est sûr que c’est un challenge! Ce n’était pas prévu. Je ne pensais pas du tout faire ça à mon âge. [CDP a repris la maison de disques suite à des dénonciations d’inconduites sexuelles de son ancien président, ndlr.] Ça se passe super-bien. J’ai une équipe solide derrière moi, ce qui me laisse du temps pour continuer à faire du Cœur de Pirate. Ça, c’est génial. Mais c’est surtout de découvrir de nouveaux talents, les guider et leur donner la structure nécessaire pour qu’ils puissent devenir des supers artistes. Il y a un côté pédagogique qui est très intéressant et que j’aime beaucoup.»

L’avez-vous fait avec l’idée de faire évoluer les choses dans l’industrie musicale, peut-être en particulier pour les femmes?

«Je ne me suis pas lancée là-dedans en ayant cela en tête. Mais évidemment, quand il y a des femmes en position de prise de décision, ça peut changer le paysage public. Et inspirer d’autres femmes et leur donner du courage. La plupart des directeurs artistiques, chefs de projet ou managers qui ont le plus de succès aujourd’hui sont des femmes. C’est quelque chose que j’admire profondément.»

Vous dénonciez le patriarcat et les injonctions sexistes dans le titre «T’es belle», sorti en 2020. Cela s’est-il imposé comme une évidence d’utiliser votre voix pour porter ce combat féministe?

«Oui totalement. Ça ne sert à rien d’avoir une plateforme et un certain privilège si tu ne peux pas l’utiliser à bon escient. Ce serait du gaspillage de ne pas parler des choses qui te sont chères. Le sexisme ordinaire, je l’ai vécu tout au long de ma carrière. C’était important pour moi d’en parler.»

Cœur de Pirate sera en concert chez nous les 1er (Théâtre Royal de Mons) et 7 décembre (Cirque Royal).