Comment le groupe Rage Against the Machine reste-t-il une figure emblématique de la musique contestataire?

Porté par le morceau «Killing In The Name», le premier album de Rage Against The Machine sorti il y a 30 ans brûle toujours d’une flamme ravivée par les mouvements contestataires actuels.

par
ETX Daily Up Studio
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Quand le premier disque du groupe de Los Angeles paraît le 3 novembre 1992, c’est un choc, à plusieurs titres. D’abord visuel, puisque la pochette reprend la célèbre photo du moine bouddhiste Thich Quang Duc qui s’immole en 1963 pour protester contre le régime sud-vietnamien.

«Il y a une volonté de sortir des standards des pochettes un peu lisses privilégiées d’habitude par les maisons de disques pour ne pas heurter le client», dissèque pour l’AFP Christophe Levaux, chercheur en musicologie à l’université de Rome et auteur de «Rage Against The Machine» (éditions Densité).

Le quatuor sort aussi du cadre avec sa fusion entre metal -- forgé par la guitare de Tom Morello -- et scansion rap avec Zack de la Rocha au micro. Un style qui engendrera nombre d’avatars tels le groupe Limp Bizkit.

Les grandes radios s’emparent assez vite du morceau «Killing In The Name». Surtout en Europe car aux États-Unis la censure tombe: le couplet «Fuck you, I won’t do what you tell me!» («Va te faire foutre, je ne ferai pas ce que tu me dis!») est répété seize fois.

Il ne s’agit pas d’une rébellion adolescente comme chez d’autres groupes. Les textes de RATM sont hautement politiques, appelant au respect des droits civiques et ceux des minorités par exemple.

Résonance avec «Black Lives Matter»

«Killing In The Name», inspiré par le passage à tabac de Rodney King à Los Angeles, resté dans l’Histoire, est par extension une dénonciation des violences policières sur fond de racisme.

«Ce texte date d’il y a 30 ans mais a une résonance actuelle très forte, ce n’est pas comme si le combat avait été gagné depuis», note Christophe Levaux. Des vidéos virales ont d’ailleurs montré des manifestants du mouvement «Black Lives Matter» scandant les paroles de «Killing In The Name» à Portland, aux États-Unis.

Alors que RATM aurait pu tomber aux oubliettes avec deux dissolutions depuis l’an 2000, le groupe s’est reformé récemment et les festivals se l’arrachent. Même si RATM est actuellement à l’arrêt en raison d’une blessure à un tendon d’Achille du chanteur.

«Aujourd’hui, 30 ans après ses débuts, le groupe est devenu presque central dans la représentation des années 1990 et a retrouvé une reconnaissance, une légitimité, liées à l’accroissement des mouvements revendicateurs», analyse encore Christophe Levaux.

Le chercheur en musicologie fait également remarquer que RATM est aussi aujourd’hui «beaucoup plus associé à la scène rap» qu’à ses débuts où il était rangé dans les groupes à guitares. RATM tourne d’ailleurs en binôme avec les rappeurs de Run The Jewels.

Précarité d’une Amérique oubliée

Il faut peut-être voir dans l’aura régénérée du groupe l’activisme du guitariste Tom Morello. Pendant la dernière pause de RATM, il a formé le super-groupe Prophets Of Rage, avec Chuck D, chanteur de Public Enemy, collectif de rap mythique. Une formation présentée comme «anti-Trump» pendant la présidence de ce dernier.

Né à Harlem d’un père kényan et d’une mère aux racines irlandaises et italiennes, Morello a grandi dans l’Illinois, a étudié les sciences politiques à Harvard et a donc inventé un jeu de guitare entre fureur électrique et éclairs des platines des DJs du hip-hop.

Ce musicien arborant parfois une casquette ornée de «Madiba» (nom clanique de Nelson Mandela) fait habilement passer ses messages sur ses réseaux sociaux (1,6 million de suiveurs sur Instagram, presque autant sur Twitter), surlignant par exemple la précarité d’une Amérique oubliée.

«Dans la petite ville où j’ai grandi dans l’Illinois (…) les options pour les gens sont: s’engager dans l’armée, travailler à Walmart (chaîne de supermarchés), vendre du meth (une drogue)», développait-il récemment dans le NME, média musical britannique de référence.