Pourquoi la lutte pour la préservation des forêts peut contribuer à retarder le Jour du dépassement?

Ce jeudi 29 juillet marque le Jour du dépassement. Autrement dit, la date à laquelle nous avons épuisé toutes les ressources que la planète est capable de générer au cours d’une année. Un marqueur fort de l’urgence climatique et dans lequel la préservation des forêts joue un rôle essentiel, nous explique Arnaud Gauffier, directeur des programmes au WWF France.

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ETX Studio
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Calculé par le think tank américain Global Footprint Network depuis les années 1970, le Jour du dépassement ne cesse d’avancer depuis ces dix dernières années, malgré un recul observé en 2020 en raison de la baisse globale de l’activité mondiale liée à la pandémie. Cette année, la date du délai fatidique est toutefois identique à celle de 2019.

«Deux principaux facteurs ont participé à avancer le Jour du Dépassement: l’augmentation de 6,6% de notre empreinte carbone par rapport à 2020 et la diminution de 0,5% de la biocapacité forestière mondiale», souligne Le Fonds Mondial pour la Nature (WWF) dans un communiqué.

Le directeur de programmes de WWF France Arnaud Gauffier nous explique pourquoi et comment la lutte pour la préservation des forêts peut contribuer à retarder le Jour du dépassement.

Dans quelle mesure la perte de masse forestière contribue-t-elle à accélérer le Jour du dépassement?

La perte de biocapacité forestière est estimée à 0,05%. Cela peut paraître peu à l’échelle d’une année, mais elle est constante depuis des décennies. Au premier semestre 2021, l’augmentation de la déforestation de l’Amazonie était estimée à 20% supplémentaires comparé à 2020, année qui avait pourtant déjà battu des records en la matière.

Non seulement nous repartons sur les tendances des années précédentes en termes des émissions de gaz à effet de serre, mais nous coupons des puits de carbone potentiels que représentent les forêts, tout en émettant toujours plus de CO2. C’est un cercle vicieux absolument délétère pour la planète qui risque d’entraîner un réchauffement de plus en plus important si l’on continue à la priver de ses capacités de stockage de carbone.

D’autant qu’une étude publiée il y a quelque mois a montré qu’une grande partie de la forêt amazonienne rejette désormais plus de carbone qu’elle n’en absorbe…

En Amazonie, les scientifiques craignent le «tipping point» (ou point de bascule en français), notamment avec les incendies qui risquent de provoquer un phénomène de savanisation, c’est-à-dire transformer l’Amazonie en savane.

Quand on coupe les arbres, les sols s’assèchent et relâchent tout le carbone. Ce sont parfois des quantités colossales, presque parfois dix fois supérieures au carbone contenu dans la biomasse aérienne, c’est-à-dire dans les arbres. Il s’agit donc là de véritables bombes climatiques potentielles.

L’Amazonie brésilienne reste l’exemple type que l’on met en avant, mais cette évolution inquiétante est globale. Elle menace par exemple la forêt du bassin du Congo, l’une des plus grandes forêts tropicales de la planète. L’enjeu est également social et humain puisqu’à travers le monde, des centaines de milliers de personnes vivent et dépendent directement des forêts, ce que l’on a parfois tendance à oublier.

Ce relâchement de carbone donne-t-il des raisons de s’inquiéter de la survenue d’une autre pandémie?

Difficile de répondre, puisqu’il y a encore beaucoup d’incertitudes autour de la véritable origine de la Covid-19. Toutefois, les différentes études scientifiques -notamment de l’OMS et des agences de recherche- montrent bien que plus on détruit les écosystèmes, plus on s’expose au «saut d’espèce», autrement dit le passage du virus animal à l’humain.

De quels leviers politiques disposons-nous pour accélérer la préservation des forêts?

Aujourd’hui, l’Europe importe 35 millions de tonnes de soja par an, essentiellement pour nourrir les animaux d’élevage. L’une des mesures efficaces serait d’investir massivement au plan européen dans la production de protéines végétales locales. Relocaliser cette chaîne de production permettrait de réduire notre impact sur la déforestation de l’Amazonie, dont provient la majorité du soja que l’on importe.

La Commission européenne planche actuellement sur un projet législatif visant à interdire l’import des matières premières qui contribuent directement à la déforestation (le soja, l’huile de palme, le bœuf, le café, le cacao, le papier, etc) au sein de l’UE. Cela ne signifie pas que l’on va devoir se priver de ces choses au quotidien, mais que les produits en question devront être soumis à un contrôle strict, garantissant que leur production n’a pas participé à la déforestation.

L’application d’une telle mesure au sein de l’Union européenne, deuxième importatrice mondiale des produits issus de la déforestation, représenterait un immense pas en avant et des bénéfices précieux pour la survie des forêts, et pas uniquement celle de l’Amazonie. Une opportunité dans l’agenda politique s’offre d’ailleurs à la France pour porter et pousser cette mesure, puisqu’elle assurera la Présidence du Conseil de l’Union européenne au premier semestre 2022.

Et du côté des consommateurs?

Il existe des leviers concrets et simples à mettre en place: manger moins de viande, en particulier la volaille et le porc, car leur production nécessite beaucoup de soja. Ou alors s’assurer que la viande que l’on consomme a été nourrie avec une alimentation locale, des animaux d’élevage, notamment en optant pour des produits bio ou «Label rouge». Même principe pour le café ou le cacao, en s’assurant que les produits achetés sont garantis «zéro déforestation».

On peut également choisir son véhicule selon ce qui se trouve dans le carburant. Si l’on roule au diesel par exemple, on roule un peu à la déforestation puisqu’aujourd’hui, 75% de l’huile de palme consommée en France finit dans le diesel et le kérosène.

Si vous en avez les moyens et l’envie, passer à la voiture électrique peut donc être un «bon plan» pour contribuer à la préservation des forêts.