Harcèlement scolaire: «Les enfants témoins sont aussi des victimes»

En Fédération Wallonie-Bruxelles, un élève sur trois est victime de harcèlement scolaire. Mais les autres enfants qui assistent aux cas de harcèlement sont également impactés, souligne la psychologue Catherine Verdier, spécialisée dans les questions relatives au harcèlement scolaire.

par
AFP
Temps de lecture 4 min.

Insultes, brimades, moqueries, coups physiques, agressions sexuelles. Le harcèlement scolaire peut se manifester par des violences verbales, psychologiques et/ou physiques infligées par des enfants à leurs camarades de façon répétée.

Un véritable fléau qui, du fait de sa complexité, doit se combattre par diverses approches. L’une d’entre elles passe par l’éducation et la transmission de valeurs comme l’empathie et la gentillesse, souligne Catherine Verdier, psychologue-thérapeute-analyste pour enfant.

Un concept que la spécialiste développe dans son ouvrage « L’écologie scolaire », paru en avril dernier aux Éditions Dunod. À l’occasion de la Journée nationale de lutte contre le harcèlement à l’école, la psychologue nous en dit plus.

Dans l’imaginaire collectif, la gentillesse a longtemps rimé avec «faiblesse». Comment cette notion a-t-elle évolué au sein de nos sociétés?

Elle est plus conscientisée et valorisée qu’avant, mais la mise en pratique est plus compliquée. La gentillesse est foncièrement liée à l’amabilité et au respect de l’autre, ainsi qu’à l’empathie et la bienveillance. Or, on associe souvent ces notions- lorsqu’on les inculque aux enfants- au fait d’être «poli» ou «sage». Ce qui n’est bien entendu pas la même chose.

Quels conseils donneriez-vous aux parents pour inculquer ces valeurs à leurs enfants?

La clé est de rester attentif au vocabulaire des émotions des enfants. Des études ont montré que plus un enfant va bénéficier de bienveillance et d’écoute, plus il secrète d’ocytocine, ce qui va le rendre empathique et altruiste. Le dialogue, l’accompagnement et les encouragements fonctionnent aussi très bien, car l’enfant réagit par mimétisme. Mais il n’y a en réalité pas de mode d’emploi. La gentillesse se transmet davantage qu’elle ne s’apprend et c’est aussi valable pour l’empathie.

Quel rôle l’empathie joue dans le harcèlement scolaire?

L’empathie est au cœur du problème du harcèlement scolaire. Elle se manifeste très tôt, dès l’âge de 18 mois, selon des recherches scientifiques. Or, si on demande à un harceleur de se mettre à la place de sa victime, on se rend compte que cette empathie a disparu.

À l’inverse, un trop-plein d’empathie peut entraîner une souffrance exacerbée pour autrui: des enfants témoins de harcèlement sur un camarade vont souffrir pour lui et donc pour eux-mêmes. De manière générale, un enfant témoin de violence (qu’elle soit scolaire ou conjugale) est aussi victime, car assister à ces scènes, surtout si elles sont répétées, va générer de l’anxiété, de l’inquiétude. De la culpabilité aussi. L’enfant ne sait pas où se positionner, il va se demander s’il doit prendre la défense de la victime au risque d’être harcelé à son tour ou d’être stigmatisé parce qu’il a «rapporté».

Comment peut-on aider ces «enfants témoins»?

En les déculpabilisant et leur faisant comprendre que prendre la défense d’un petit camarade est une preuve de courage et d’empathie et que cela ne fait pas de lui «une balance». Un terme que l’on devrait d’ailleurs arrêter d’employer, car nous ne parlons pas de délation, mais de porter secours à des personnes qui souffrent! On peut aussi leur dire (là encore sans les culpabiliser) que ne pas réagir face à la violence, c’est en quelque sorte la cautionner. Le but est de leur faire comprendre que la bienveillance est une force.

L’effet de groupe ne risque-t-il pas de prendre le dessus sur les valeurs transmises à la maison?

Tout à fait, mais l’intensité des violences finit souvent par mettre les enfants mal à l’aise et ils deviennent alors généralement plus enclins à en parler. Cette dimension collective est d’ailleurs primordiale car les harceleurs font tout pour maintenir leur(s) victime(s) dans une situation de solitude, d’exclusion.

Comment le fait de valoriser le collectif peut aider à combattre, ou du moins limiter, le harcèlement scolaire?

La force du groupe peut s’avérer très négative dans le cadre du harcèlement, mais elle peut aussi être très positive. Si on reprend la statistique selon laquelle un enfant sur dix est harceleur, cela donne un nombre majeur d’enfants témoins. La puissance d’action de ce groupe est donc énorme et il est très important de leur faire comprendre. Les adultes ont évidemment un rôle prépondérant à jouer et doivent aussi être sensibilisés à ces mécanismes et ces leviers.