En Suède, on peut choisir la couleur de peau de son docteur

Se faire soigner par un blanc? Aucun problème, il suffit de demander: en Suède, nombreux sont les établissements de soins à accepter que les patients choisissent la couleur de peau de leur docteur.

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ETX Daily Up
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La réforme du système de santé, adoptée en 2010 et permettant aux patients de choisir leur propre médecin, a conduit de manière inattendue à une discrimination des médecins d’origine étrangère.

«Quand je travaillais en psychiatrie, un patient a annulé trois fois son rendez-vous avec moi, car il ne voulait pas être examiné par un +médecin étranger+», explique Navid Ghan, 30 ans.

«Finalement, il n’a pas eu le choix, j’étais le seul médecin sur place. Pendant la consultation, même s’il voyait que je parlais suédois sans aucun accent, il me disait ‘vous, les étrangers, vous ne comprenez rien’«, raconte, un brin désabusé, le trentenaire, qui a grandi et étudié en Suède.

A sa demande, le nom et le prénom de ce généraliste agréé a été changé.

«Maintenant, avec mes collègues, on en rit dans la salle de déjeuner. Les infirmières (qui s’occupent de la prise de rendez-vous, ndlr) débarquent en disant +ils ont encore annulé en voyant ton nom+».

Depuis 2010, les patients, qui auparavant se voyaient attribuer d’office un centre de soins selon leur domicile, choisissent eux-mêmes leur clinique.

A l’heure où les tensions liées à l’immigration croissent dans une Suède traditionnellement homogène, la réforme a permis aux patients de refuser d’être traités par des Suédois d’origine étrangère.

«Peau claire»

Fin mars, 1.011 médecins et étudiants avaient signé une tribune dans le tabloïd Expressen appelant «les autorités responsables à agir contre le racisme».

Pendant l’été, le quotidien de référence Dagens Nyheter a publié une enquête dévoilant l’ampleur du phénomène.

En se faisant passer pour des patients déménageant, les journalistes ont appelé 120 établissements de santé en demandant que leur nouveau médecin traitant soit d’éthnicité suédoise.

51 acceptent, 40 refusent. Une poignée souligne l’impossibilité de satisfaire ce genre de demande qui enfreint la loi contre la discrimination.

«Nous avons Maria, Sanna et Elsa. Trois femmes à la peau claire», a pourtant répondu un secrétariat médical.

«Une pratique inacceptable», a dénoncé la ministre de l’Egalité, Märta Stenevi, interrogée par l’AFP.

Pour Madeleine Liljegren, responsable de l’association des jeunes médecins, elle s’explique notamment par «une situation de concurrence entre les établissements de soins pour obtenir les patients, et donc la rémunération», les centres de soin obtenant un financement selon le nombre de malades.

«Développement inquiétant»

«Les soignants se disent sans doute ‘je vais satisfaire sa demande’, bien que choquante, pour pouvoir garder le patient», dénonce-t-elle, d’autant que certains centres manquent de malades.

Ils sont pourtant obligés de respecter la législation anti-discrimination, que ces pratiques violent.

Pour Makih Fatelahi, médecin à Kronoberg (sud), dont l’identité a également été modifiée à sa demande, certains patients craignent de ne pas se faire comprendre.

«Le problème c’est qu’ils ne voient que ton nom lors de la prise de rendez-vous, tu n’as pas le temps d’établir un contact humain avant de te faire évincer», soupire le praticien hospitalier de 28 ans.

Pour l’Ombudsman de l’Egalité (DO), une agence publique de lutte contre les discriminations, Lars Arrhenius, choisir son médecin en fonction de sa couleur de peau est le signe d’un «développement inquiétant» dans la société suédoise.

«Tout est très polarisé, et de plus en plus dûr quand on parle de ces questions», constate-il à l’heure où l’extrême-droite des Démocrates de Suède, jouit de plus de 20% des intentions de vote.

En 2020, DO a reçu un peu plus de 3.500 plaintes de discrimination, 1.146 concernait l’«ethnicité» dans un pays traditionnellement homogène, qui a vu sa population immigrée doubler en vingt ans.

Navid Ghan confie ne pas s’être senti soutenu par sa hiérarchie qui observe pourtant le racisme de plusieurs patients.

Et il n’est pas le seul à pointer l’absence de consignes internes pour affronter ce type de comportement.

«On finit par ne plus y faire attention. Personnellement, pour ne pas laisser mes émotions prendrent le dessus, j’agis selon un algorithme mental: est-ce que ce patient a vraiment besoin de mon aide? Si oui, je le prends en charge sans faire attention aux commentaires. Si non, je demande à un collègue de prendre ma place», raconte-t-il.