Des étudiants africains tentant de fuir la guerre bloqués et malmenés à la frontière

Des milliers de réfugiés ont pris la route ces derniers jours, pour tenter de fuir la guerre en Ukraine. Mais tous ne sont pas traités équitablement. Des étudiants africains et indiens ont notamment affirmé avoir été retenus aux frontières, dehors et dans le froid, alors que les Ukrainiens étaient autorisés à passer en priorité. Des discriminations racistes dont ils ont été nombreux à témoigner ces derniers jours.

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Rédaction en ligne avec agences
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«Je n’ai jamais rien vécu de tel», témoigne Johanna, une étudiante nigériane de 17 ans interrogée par Brut. Installée en Ukraine pour suivre son cursus de médecine, elle a décidé de fuir le pays lorsque les premiers bombardements ont retenti à Kharkiv, ville où elle vit et étudie. «On a dû se cacher dans des bunkers souterrains pour être en sécurité. On entendait les explosions, sans savoir ce qui allait se passer dans les secondes d’après. C’était le chaos partout, donc j’étais obligée de partir.»

Après un long (et cher) trajet en taxi, elle a dû marcher dans le froid pendant 24 heures pour rejoindre la frontière entre la Pologne et l’Ukraine. Là-bas, les gardes-frontières «nous ont gardés là, on ne sait pas pourquoi, sans raison. Ils laissaient passer les autres Ukrainiens», raconte la jeune femme. «Une Ukrainienne est arrivée est ils nous ont frappé pour qu’on la laisse passer. Même si ce n’est pas notre pays, ça ne veut pas dire que nous ne sommes pas des êtres humains.»

Les témoignages se multiplient, la Pologne promet «zéro-discrimination»

De nombreux Africains ont vécu ce genre d’expérience ces derniers jours et dénoncé une différence de traitement entre réfugiés. «On a marché des heures pour arriver à la frontière. Une fois là-bas, ils ont réuni les noirs, ils nous ont mis ensemble dans un coin. On a dû rester là des heures sans bouger», témoigne une autre femme fuyant les combats. «Des gens pleuraient, suppliaient. Ils nous ont laissés dehors deux jours avant d’ouvrir la frontière.»

Les témoignages de ressortissants africains bloqués en Ukraine, comme ceux-ci, affluent sur les réseaux sociaux depuis le début de l’invasion russe. À Kiev, des étudiants africains auraient été empêchés d’entrer dans des trains et des bus pour la frontière polonaise afin de prioriser la population ukrainienne, selon différents témoignages. À la frontière polonaise, ils auraient été refoulés par les gardes-frontières pour les mêmes raisons. Des accusations de racisme que les gardes-frontières ont rejeté, assurant permettre à tous de passer.

La Pologne est sans conteste le premier pays à observer un afflux exceptionnel de personnes fuyant le territoire ukrainien. Si les responsables européens ont déjà à plusieurs reprises applaudi l’accueil rapidement mis en place par Varsovie, les nombreux témoignages de discrimination à la frontière préoccupent. Ce mercredi, le président du Conseil européen Charles Michel était en Pologne pour évoquer ces questions avec le Premier ministre polonais Mateusz Morawiecki. Celui-ci aurait donné «une garantie forte de ’zéro discrimination’», indiquait le Belge après l’entretien.

«Chaque pays doit accueillir tous les réfugiés», rappelle Amnesty

Amnesty International confirme avoir reçu des témoignages faisant état de traitements différenciés, mais n’a pas encore été en mesure de les vérifier sur le terrain, a expliqué Ludovic Laus, porte-parole d’Amnesty International Belgique. «Si c’est avéré, c’est intolérable», a-t-il dit. «Les États sont tenus d’accueillir toute personne, indépendamment de tout critère, qu’il soit racial ou autre. Nous nous basons sur la déclaration universelle des droits de l’Homme et la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés pour dire que chaque pays doit accueillir tous les réfugiés et garantir un accueil digne.»

Des milliers de jeunes Africains partent étudier en Ukraine, attirés par la qualité des études sur place et le prix relativement bas. Parallèlement aux témoignages sur les difficultés à quitter l’Ukraine pour les non-Ukrainiens, une forme de solidarité s’organise sur les réseaux sociaux, avec des dizaines de personnes qui proposent leur aide pratique pour le passage aux frontières ou l’hébergement.

Un racisme «endémique» en Europe

La militante antiraciste Estelle Depris, qu’on retrouve derrière le compte Instagram Sans Blanc De Rien, se dit «choquée» par les témoignages qu’elle n’a cessé de recevoir ces derniers jours. «En temps de crise, le racisme endémique en Europe ressort. En Europe, il y a pourtant des ressortissants du monde entier, notamment en raison du rapport du continent avec la colonisation», explique-t-elle. «En tant qu’afro-descendant, on se pose la question: si un jour on est amené à devoir fuir, y aura-t-il des traitements prioritaires pour les blancs en Belgique aussi? Cela réveille des inquiétudes pour ces personnes.»

Plus largement, Estelle Depris invite à s’interroger sur la rapidité avec laquelle les pays européens se sont engagés à accueillir les réfugiés ukrainiens. «Les états occidentaux montrent leur solidarité envers les réfugiés ukrainiens parce que leur culture se rapprocherait d’une culture occidentale, selon eux. C’est très violent pour les personnes racisées ou pour les personnes qui ont dû faire la grève de la faim pour obtenir des papiers après avoir fui des situations de guerre», dit-elle.