La viande, la clope ou l’avion: quand arrêter pour la planète devient un vrai kif

Ils ont arrêté la viande, la clope ou l’avion par conviction écologique. Et, croyez-le ou non, tous se disent plus heureux qu’avant! Le plaisir ne serait-il finalement pas la clé de l’engagement et de la sobriété?

par
ETX
Temps de lecture 7 min.

«J’ai fumé pendant plus de trente ans. C’était un vrai plaisir, je n’avais aucune envie d’arrêter! Mais depuis 5-6 ans, mon engagement écologique est devenu plus fort et j’ai vraiment commencé à réinterroger mon mode de vie. Je savais que l’industrie de la cigarette polluait, mais cela ne me convainquait toujours pas d’arrêter. Mais un jour, je suis tombée sur un reportage qui montrait l’impact écologique très négatif de la cigarette, dès sa fabrication. Je pense que c’est ce qui a produit le déclic. Il y a deux ans, je suis allée voir un hypnotiseur. Après une seule séance, je n’ai plus jamais fumé!», raconte Claire, 51 ans.

Renoncer à un plaisir de la vie ou à une habitude, même quand on la sait mauvaise, n’est jamais chose facile. D’autant que «depuis les Trente Glorieuses, nos sociétés occidentales ont adhéré à une sorte de spiritualité, qui consiste à penser que l’on ’doit’ se réaliser par le biais d’un statut social et des possessions matérielles qui vont avec», rappelle Dominique Bourg, philosophe franco-suisse, qui a écrit de nombreux essais sur l’engagement écologique. «Dans nos sociétés occidentales, cette spiritualité se traduit par un mode consumériste. S’accomplir en tant qu’être humain, c’est avoir un ’bon travail’ et le ’bel objet’ qui va avec: la voiture à l’époque des Trente Glorieuses, le smartphone aujourd’hui. Arrêter ou renoncer à des habitudes de consommation ou à un mode de vie revient donc à se détacher de ce mécanisme qui nous incite à une surconsommation permanente», poursuit le philosophe.

Si arrêter reste difficile, pour certains, c’est au contraire devenu un plaisir revendiqué. C’est notamment le cas de Jérôme, 50 ans. «En 2021, nous avons pris le train depuis Marseille avec ma femme et nos deux enfants pour aller en Grèce», raconte-t-il, gonflé d’enthousiasme à la simple évocation de ce souvenir. «À cette époque, ma femme et moi, nous nous posions beaucoup de question sur notre empreinte carbone et notamment sur nos trajets en avion. On s’est rendu compte qu’on n’avait plus envie de ces ’city break’ de deux jours dans des capitales européennes. On a alors commencé à réfléchir à comment nous pouvions faire différemment. C’était au moment des vacances de Noël et nous avions du temps. On a donc décidé de partir en train, jusqu’à la ville de Bari en Italie, puis on a fini notre périple en bateau. Cela nous a demandé un peu de travail pour chercher les différentes options, mais on a constaté que cela était possible!»

Marine, 31 ans, a elle aussi entamé une transition au niveau de sa mobilité. «Avant, je préférais largement l’avion au train. Aujourd’hui, c’est l’inverse: au-delà du souci écologique, j’associe l’avion à une perte de temps: il faut aller jusqu’aux aéroports, puis passer de longues heures sur place… Je privilégie donc le train dès que c’est possible», explique-t-elle.

Un plaisir motivé par une quête du sens

Sans chercher à se justifier ou vouloir «convertir» leur entourage, ces personnes ont trouvé un sens à leurs actions et adopté un mode de vie plus en phase avec leurs considérations écologiques. Une sorte d’accomplissement de soi et de ses valeurs. «Le fondement de l’engagement repose sur une quête de sens, et le plaisir et la reconnaissance peuvent être de puissants vecteurs de sens», confirme Dominique Bourg. Loin du cliché des «écoterroristes» ou des «ayatollahs», elles n’en oublient certainement pas de vivre, sans que cela remette en cause la sincérité de leur engagement. «Je prends beaucoup de plaisir à être végane», raconte Sophie, 56 ans, qui a entamé cette transition alimentaire quelques années plus tôt. «Au début, avec mes amis, je me forçais. Ensuite, j’ai commencé à les prévenir à l’avance quand j’étais invitée à dîner: leur réaction était plutôt positive, ils me faisaient une assiette de légumes plus copieuse. Certains ont même eu à cœur de me préparer des plats entièrement végans, ce qui nous a permis d’échanger et de discuter à ce sujet!».

Pour ces personnes engagées dans la transition écologique, arrêter n’est donc pas synonyme de privation, mais plutôt une façon de changer de regard sur le monde et de sortir de sa zone de confort en explorant d’autres manières de vivre tout aussi satisfaisantes (si ce n’est plus) que les anciennes! «Les gens autour de moi font les yeux ronds quand je leur dis que je fais régulièrement le trajet Bordeaux-Marseille en train, qui prend six heures de voyage! Mais c’est pour moi un réel plaisir: je perçois ce moment comme une bulle, une sorte de détox technologique pendant laquelle je m’accorde du temps pour moi», confie Jérôme.

Même verdict du côté de Marine: «J’associe mes trajets en train à du repos, l’occasion de faire des activités que je trouve rarement le temps de faire habituellement. Par exemple, lire plusieurs livres d’affilée! C’est ce que j’essaye de faire comprendre à mes proches, quand ils se moquent gentiment de moi ou qu’ils poussent de cris de surprise, effarés par la longueur des trajets que je fais», ajoute-t-elle d’un ton amusé.

«J’ai la sensation d’avoir réussi»

Le plaisir, au-delà de sa dimension pure d’épicurisme, peut aussi puiser sa raison d’être dans d’autres sources. À commencer par la satisfaction de se tenir à ses engagements. «Je sais que je ne reviendrai jamais en arrière concernant mon alimentation: je suis convaincue des raisons pour lesquelles je le fais, j’y trouve largement mon compte», confirme Sophie. Mais c’est une aussi question d’égo (bien placé) et de satisfaction de soi-même! «Arrêter de fumer n’a pas été facile. Je mentirais si je disais que cela ne me manque jamais. D’ailleurs, mes proches ont été assez surpris de la raison pour laquelle j’ai décidé d’arrêter: j’étais une vraie fumeuse, je clopais à la maison, au bureau, dans la voiture… ils avaient donc du mal à me croire au départ! Je suis en revanche contente de caler mon mode de vie en accord avec mes valeurs: je pense que j’en retire une certaine fierté. J’ai la sensation d’avoir réussi», estime Claire.

Pour ces personnes qui arrêtent, la fierté ressentie peut aussi s’en trouver galvanisée par le partage public de leurs «progrès» sur les réseaux sociaux et l’encouragement mutuel avec d’autres internautes qui poursuivent le même objectif. On l’a notamment vu avec des challenges surfant sur la vague des bonnes résolutions, à l’instar du « Dry January » (pas d’alcool pendant le mois de janvier). Ou encore du Veganuary, un défi lancé en 2014 en Angleterre, qui incite à adopter un régime végétalien tout au long du premier mois de l’année. L’idée étant bien sûr d’être séduit par ce mode de vie et de l’intégrer durablement dans son quotidien!

En janvier 2021, 582.530 personnes dans le monde ont participé au Veganuary, (dont plus de 10.000 Français selon l’association L214). Un succès certain accompagné par des dizaines de milliers de posts sur les réseaux sociaux avec les hashtags qui vont bien!

«Les personnes qui se lancent dans des démarches écologiques renvoient à un changement de paradigme, une volonté de vivre autrement, avec une disposition spirituelle très différente. Elles sont très importantes car elles sont témoins d’une autre vie possible et sans doute d’une forme d’avant-garde», considère Dominique Bourg. «D’autant que ce mouvement écologique de sobriété va probablement s’amplifier et se présenter comme une réponse à un mouvement général de dégradation de l’environnement, qui risque malheureusement de prendre de l’ampleur au cours de la prochaine décennie», conclut le philosophe.

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