Tatiana de Rosnay à propos de son roman sur les troubles alimentaires :«C’est un mal qui a dévasté 25 années de ma vie»

Dans son dernier roman «Nous irons mieux demain», Tatiana de Rosnay explore l’étrange amitié qui se noue entre Dominique et Candice, une jeune femme atteinte de troubles alimentaires. Un sujet que l’autrice connaît bien pour en avoir souffert elle-même durant des années.

par
Oriane Renette
Temps de lecture 5 min.

Ce livre nous plonge dans une atmosphère particulière, à la fois glaçante mais avec une chaleur entre les personnages. Comment avez-vous construit cette relation?

«Je voulais explorer comment deux personnes qui n’ont pas grand-chose en commun peuvent s’apprivoiser. Surtout, je voulais parler des zones d’ombre. Cette femme plus âgée, Dominique, vient sortir de sa zone de confort une femme plus jeune qui est fragile, cabossée par la vie. Dominique a été un des personnages les plus intéressants à construire. On ne sait jamais qui elle est vraiment, elle nous déstabilise: elle nous charme autant qu’elle nous trouble. Ce sont ces zones grises qui m’ont intéressée: tout ce qu’on ne voit pas, et tout ce qu’on imagine.»

Candice souffre de troubles alimentaires. Ce qui a fait partie de votre parcours également. Ça a été difficile d’en parler?

«Depuis que le livre est sorti, ça m’est apparu impossible et idiot de nier que j’avais donné ce bagage émotionnel très particulier concernant la boulimie et l’anorexie à Candice. Même si ce n’était pas du tout prévu. C’est la première fois que j’aborde un sujet aussi personnel dans un de mes romans. C’est un mal qui a dévasté presque 25 ans de ma vie. Personne n’était au courant. Ma famille ne le sait que depuis la sortie du livre. C’est la première fois que j’en parle avec eux. Ce qui me touche énormément, c’est que depuis sa sortie, je rencontre des personnes souffrant de TCA [trouble des conduites alimentaires, ndlr] de tout âge, de tout sexe, de tout milieu. Ils sont dans une souffrance absolue et me remercient d’avoir osé en parler, de dire les choses en détail. Ça m’a bouleversée. C’est un retour très émouvant pour moi.»

Parce que c’est un sujet encore tabou?

«On commence à en parler un peu plus. Les TCA existent dans le monde entier. Ils ont explosé depuis la pandémie. Et partout, il existe des associations, des structures d’aide… Mais je ne savais même pas qu’elles existaient. Les années les plus violentes pour moi ont été entre mes 15 et mes 25 ans. C’était un secret si lourd, si bien caché que personne ne l’a jamais su jusqu’à aujourd’hui… Et j’ai 61 ans!»

Comment en êtes-vous sortie?

«Il y a de la lumière au bout du tunnel. Je pense que la première chose, c’est d’en parler. Ce que je n’ai jamais su faire. Je m’en suis sortie grâce à mon mari. Il n’avait pas compris l’ampleur du problème, mais je me suis beaucoup confiée à lui. Il m’a énormément aidée, son amour m’a énormément aidée. Bien sûr, il y a eu l’aide d’un psy, mais c’est venu beaucoup plus tard. Il m’a fait prendre conscience de l’emprise sous laquelle j’étais. Mais tout cela est très récent: j’en suis sortie il n’y a pas très longtemps. C’est une vraie renaissance pour moi. Vraiment.»

Le troisième personnage de ce roman, c’est Emile Zola. C’est une longue histoire d’amour pour vous. Pourquoi s’est-il invité dans ce roman-ci?

«Ça non plus, ce n’était pas du tout prévu! Zola est venu par la force de l’écriture. J’ai compris que, par la mémoire des murs et des lettres, il avait sa place dans ce livre. Je voulais parler de lui comme on ne l’avait jamais fait, par le biais intime: en évoquant sa vie amoureuse, ses souffrances et ses joies, son déchirement entre ces deux femmes qu’il aimait, sa mort absolument tragique… Par contre, on n’a pas besoin d’avoir lu Zola ou de connaître sa vie pour lire ce livre. Mais donner envie de lire Zola, c’était un beau défi pour moi.»

Le titre même du livre, ce sont les mots de Zola…

«Ce sont ses derniers morts, adressés à sa femme. Ce roman est né dans la noirceur de la pandémie, je n’avais pas envie de replonger dans quelque chose de sombre. Don c’est un livre qui va vers la lumière. C’est assez nouveau pour moi! Et ce titre, choisi à un moment de difficultés, où l’on a été privé de presque tout… J’avais l’impression qu’il faisait du bien.»

QU’EST-CE QUE ÇA RACONTE ?

Jeune mère célibataire, Candice assiste un soir de pluie à un accident de la route. Étendue sur le sol, une femme, la cinquantaine, est grièvement blessée. Bouleversée, Candice lui porte assistance, puis se rend à son chevet à l’hôpital. Petit à petit, elles se lient d’amitié. Mais une étrange aura entoure cette Dominique Marquisan. Élégante, solitaire, énigmatique: qui est cette femme qui creuse petit à petit sa place dans la vie de Candice? «Nous irons mieux demain» retrace le chemin d’une femme fragile vers l’acceptation de soi, vers sa liberté. Il fait aussi écho aux derniers mots d’Émile Zola, le passager clandestin de cette histoire.

Trois raisons de l’ouvrir

Pour le personnage de Dominique, l’un des plus forts de Tatiana de Rosnay, à la fois envoûtante et troublante. Elle ne laissera personne de marbre.

Emile Zola, on connaît son œuvre, on connaît sa fameuse lettre «J’accuse» dans l’affaire Dreyfus. Mais on connaît moins l’homme, l’amoureux, que Tatiana de Rosnay nous dévoile ici.

Parce que le sujet des troubles alimentaires est abordé sous la plume de quelqu’un qui a traversé cette épreuve, donnant toute sa force à des scènes très marquantes.