Lucia, une enquêtrice «badass» pour la nouvelle intrigue de Bernard Minier

par
Oriane Renette
Temps de lecture 6 min.

Qui est Lucia?

«Jeune femme dans la trentaine, Lucia est membre de l’unité spécialisée de la Guardia Civil, l’UCO, l’équivalent de la police judiciaire. Elle ne triche pas, elle n’arrondit pas les angles. Elle est vraie. Elle dit toujours ce qu’elle pense. Ce qui lui vaut d’ailleurs d’être en conflit avec pas mal de monde: sa hiérarchie, son ex-mari, sa famille… Comme on dit aujourd’hui, elle est assez ‘badass’. Elle n’hésite pas, elle y va à fond.

J’avais envie d’une nouvelle génération d’enquêteur par rapport à mon personnage fétiche, Martin Servaz. Lui est un homme de réflexion, elle est une femme d’action. Il est aussi un homme du siècle passé, qui a beaucoup de mal avec les technologies. Elle est une femme d’aujourd’hui, totalement à l’aise avec ces technologies. Elle est assez différente de Martin, tout en étant assez complémentaire.»

Pourquoi planter votre intrigue dans cet univers universitaire?

«J’ai été un étudiant frustré. Je n’ai pas fait de longues études et, depuis longtemps, j’avais ce fantasme d’une intrigue policière située dans un cadre universitaire à l’ancienne. Et Salamanque est l’une des plus vieilles universités d’Europe. Avec ses rues pavées, ses lanternes, ses vieux bâtiments… Quand je m’y suis rendu, j’ai trouvé cette ville absolument fascinante, avec un décor de cinéma incroyable. C’est aussi un musée à ciel ouvert. Salamanque est comme une machine à voyager dans le temps. Le roman est un balancier constant entre le passé et le présent. Il y a ce cadre presque ‘éternel’, et en même temps un aspect très contemporain avec ce groupe d’étudiants qui utilise des outils très modernes.»

Pourquoi intégrer des étudiants à l’intrigue?

«Je voulais ces étudiants car j’aime qu’il y ait des jeunes gens dans mes histoires. La jeunesse, c’est l’âge de tous les possibles, de tous les rêves. Même si à mon âge, on sait que la plupart de ces rêves ne se réaliseront pas! (rires) Dans le livre, ce groupe d’étudiants en criminologie développe un logiciel qui repère des liens, des points communs entre des affaires irrésolues et jusque-là isolées.»

Ce logiciel relie entre eux des crimes qui s’inspirent de tableaux. Comment vous est venue cette idée?

«Le thriller est une littérature sous contrainte: il y a des codes du genre à respecter. Dans ce cadre, j’adore ajouter des choses plus personnelles, et en particulier culturelles. J’ai une passion pour les arts, pour la peinture, et en particulier pour cette période de la Renaissance et du baroque. Pour la musique classique aussi. J’aime également parler de littérature et de livres dans mes romans, comme une mise en abyme.»

Le meurtrier travaille à des mises en scènes très élaborées de ses crimes. Ce sens de la mise en scène, ça se travaille aussi en tant que romancier?

«Absolument! C’est un défi permanent de trouver quelque chose qui n’a pas encore été inventé par d’autres. Il faut se renouveler, inventer des scènes de crimes de plus en plus extravagantes. Ici, on a ce fameux ‘tueur à la colle’, qui tue ses victimes et les fige ensemble avec de la colle forte. Autant pour l’enquête policière, c’est beaucoup de documentation; autant pour les scènes de crime, c’est surtout l’imagination qui travaille.»

Est-ce que vous vous mettez des limites?

«Déjà, c’est plutôt glauque mais je ne veux pas faire dans la surenchère. La seule limite que je m’impose, ce sont les enfants. Quand des enfants sont les victimes dans mes livres, les crimes ne sont jamais décrits ou mis en scène. On y fait allusion, on en parle dans des dialogues, mais c’est toujours indirect. Après, ce qui est suggéré peut parfois être même plus terrifiant que ce qui est directement montré.»

Tous vos personnages s’interrogent sur l’origine du Mal: qu’est-ce qui fait les monstres d’aujourd’hui? Ce sont aussi des questions qui vous intriguent?

«Complètement. Je cite toujours Paul Ricœur: ‘Le mal est ce qui ne devrait pas être mais qui est, et dont on ne sait pas pourquoi cela est.’ C’est la grande question que je me pose en permanence. Pourquoi y a-t-il tant de mal dans le monde? Pourquoi les gens en viennent-ils à faire des choses aussi abominables et cruelles? C’est incompréhensible pour quelqu’un de normalement constitué. Mais la question n’en reste pas moins pertinente. Évidemment, je n’ai pas de réponse. Le romancier écrit pour questionner (la société, le Mal, l’homme…). Pas pour donner des réponses.»

On imagine que Lucia va revenir. Cette complémentarité avec Servaz, c’est signe qu’ils pourraient se croiser sur une enquête?

«J’ai beaucoup aimé le personnage de Lucia. Elle est à la fois coriace et attachante. Dès les premières pages, j’ai su que j’allais en faire un personnage récurrent. Mais pas dans le prochain: il sera avec Servaz. Quant à une enquête en duo… Je ne sais pas, je n’ai pas de plan à si long terme! Un pas après l’autre. La suite, on verra.»

Nouveau personnage, nouveau décor, nouvelles méthodes… Vous aviez un besoin de changement?

«Oui, sûrement. J’aime beaucoup Servaz, mais de temps en temps j’ai envie de faire des choses sans lui. (rires) Et puis, Servaz a un bagage de plus en plus lourd au fil des livres, il faut tenir compte de toutes ces choses-là. Avec Lucia, j’arrive sans bagage. J’ai toute la liberté que je veux. Ça me permet aussi de dire des choses différentes. De présenter un point de vue nouveau sur la société, sur le monde, et ça, c’est toujours intéressant.»

En quelques lignes

Direction l’Espagne et Madrid, ou l’enquêtrice Lucia Guerrero trouve son équipier crucifié sur un calvaire. À 200 kilomètres de là, l’université de Salamanque. Dans les sous-sols de la faculté de droit, un groupe d’étudiants en criminologie a mis au point un logiciel révolutionnaire capable de relier des crimes irrésolus entre eux. Ils découvrent alors l’existence d’un tueur en série passé sous les radars depuis plusieurs décennies… La traque du «tueur à la colle» est lancée. Avec «Lucia», Bernard Minier traverse les Pyrénées pour nous présenter sa nouvelle héroïne, une jeune flic attachante et dont on a déjà envie de percer les mystères. L’atmosphère hyper travaillée de ce roman régalera les amateurs de polar. Ajouté à cela, un décor hautement cinématographique dans lequel on est immédiatement immergés. Ici encore, Minier signe un thriller prenant et addictif. Une enquête complexe et orchestrée de main de maître. On regrettera juste un final un rien simple et prévisible – et donc un rien décevant.

«Lucia», de Bernard Minier, XO Editions, 480 pages, 22,90 €