Jérôme Loubry nous embarque en terres de sorcières avec «Les sœurs de Montmorts»

Voilà cinq ans que Jérôme Loubry a quitté les fourneaux de son restaurant pour se lancer dans l’écriture. Il signe avec «Les sœurs de Montmorts» son cinquième thriller. Dans ce huis clos à ciel ouvert, l’auteur nous plonge à Montmorts, village isolé et bercé de légendes et superstitions d’antan.

par
Oriane Renette
Temps de lecture 5 min.

Quel a été le point de départ de ce nouveau roman?

«Tout d’abord, je voulais écrire une sorte de huis clos, mais sans être totalement enfermé. D’où l’idée de ce village, Montmorts. Ensuite, avec la volonté d’apporter un sujet actuel, qui sera révélé à la fin du livre. Enfin, je voulais écrire sur la sorcellerie, comme un hommage à ma région natale, le Berry, dans le centre de la France. C’est une région où la sorcellerie est encore très présente. C’est notamment là que George Sand a écrit ‘La Mare au diable’.»

Les sorcières, on leur réservait un terrible sort à Montmorts…

«Il y a cette ‘montage’, plutôt un gros rocher, du haut duquel les sorcières étaient jetées lors de leurs procès au 17e siècle. C’est le côté féministe du roman: je parle de ces femmes qui, dans la véritable Histoire, étaient jugées souvent à tort. Simplement pour avoir un grain de beauté, ’la tâche du diable’, qui suffisait à prouver qu’elles étaient possédées par le démon. Ou parce qu’elles faisaient peur aux hommes car elles étaient insaisissables, ou peut-être trop intelligentes, trop belles… Il y avait mille et une raisons d’accuser une femme de sorcellerie. Pour les hommes de cette époque-là, les femmes étaient faites pour procréer et rester à la maison, et en aucun cas pour se dresser devant eux ou devant la religion. Mon côté féministe m’a poussé à rétablir la vérité: ces femmes effrayaient les hommes par leur différence ou par leur non-vulnérabilité. Aujourd’hui, on ne les appelle plus ‘sorcières’. Mais une femme puissante, certains hommes considèrent encore cela comme problématique et castrateur pour eux.»

Vous proposez une playlist en début d’ouvrage, pourquoi cette démarche?

«Ce sont les musiques que j’ai écoutées avant d’écrire ce roman. Ces musiques m’inspirent, me plongent dans l’ambiance que je voulais décrire. Je trouvais sympathique l’idée de les proposer au lecteur. Aussi, ce roman est comme une pièce de théâtre. Mes personnages sont des acteurs malgré eux. Ils sont sur une scène sans le savoir. Dans les livrets de théâtre, il y a toujours des explications sur les personnages. Faire correspondre chaque musique à un personnage ou à un lieu, c’est un clin d’œil à cela. Et puis, cela permet d’appuyer une ambiance ou un personnage, de lui donner un reflet musical.»

Parmi ces personnages, on découvre Albert de Thionville. Une particularité de Montmorts est que ce village lui appartient.

«Albert de Thionville est un homme très riche. Il est propriétaire et maire de ce village. Il en est un peu la figure patriarcale. Il a un côté rassurant car les habitants ne manquent de rien. Mais quand Julien, l’enquêteur, va le rencontrer pour la première fois, il est impressionné par sa stature et son regard d’acier. C’est un personnage auquel on ne sait pas si on peut se fier. On a du mal à lire en lui. Au fil du roman, des craquelures vont apparaître dans ce personnage, à première vue froid et stoïque.»

Quand Julien arrive à Montmorts, il n’y trouve absolument pas ce à quoi il s’attendait…

«Effectivement, il s’attendait à arriver dans un village paumé. Et il arrive dans un village ultra propre, sur-sécurisé, avec un commissariat équipé des technologies dernier cri. C’est d’autant plus surprenant qu’il n’y a pas de criminalité à Montmorts justifiant tout cela. Cette surprise lui amène beaucoup d’interrogations.»

Dans ce roman, il y a du polar classique, du thriller psychologique, même du fantastique. Vous aimez jouer avec les codes et frontières de genre?

«Je voulais décontenancer le lecteur. Au départ, on se dirige vers du fantastique. Petit à petit, on se repositionne sur du polar pour finir en thriller psychologique. J’aime mélanger les genres pour perdre le lecteur et l’intriguer.»

Quels sont les autres ressorts sur lesquels vous jouez pour le maintenir en haleine?

«Il faut tout de suite accrocher le lecteur dans des faux-semblants. Qu’il s’attache aux personnages ou aux ambiances jusqu’à s’y perdre. Jusqu’à ne plus douter de ce qu’il lit, de la vérité qu’on lui présente. À partir du moment où il est plongé dans le récit, on peut basculer et lui faire comprendre que l’on s’est un peu joué de lui. De toute manière, écrire, surtout dans la fiction, c’est toujours manipuler le lecteur. C’est lui imposer des images à partir de mots. Donc prendre possession de son imagination.»

Comment abordez-vous la création d’un nouveau roman?

«C’est toujours un challenge, avec le stress de savoir si l’on va y arriver. Au départ, je n’écris pas pour le lecteur. J’écris pour mes personnages, pour leur donner la meilleure des histoires. Pour moi, c’est une remise en question perpétuelle à chaque roman. Avec de nouvelles ambiances, de nouveaux personnages, d’autres histoires… Chaque livre est un premier roman pour moi.»

Avant d’écrire, vous étiez dans la restauration. Une carrière dans l’univers du crime aurait-elle pu vous intéresser?

«J’aurais voulu être avocat. Cela se rapproche du crime. Mais policier, non. Après… il n’y a pas d’âge pour devenir criminel! (rires)»

En quelques lignes

Bienvenue à Montmorts. Dans ce village isolé et d’apparence très calme, un nouveau chef de police vient d’entrer en fonction. Alors qu’il s’imaginait atterrir au bout du monde, il découvre un endroit cossu, hyper-sécurisé, et au commissariat équipé de technologies dernier cri. Rien ne semble pourtant justifier ces investissements dans ce village à la criminalité inexistante. Du moins, jusqu’à ce que ces voix reviennent hanter les habitants…

Tout au long du roman, Jérôme Loubry a su nous emporter grâce à un bon page turner et une atmosphère envoûtante. L’auteur accompagne cela d’un savant dosage de fantastique, de psychologique et de policier. Cela dit, on sort de ce récit un peu mitigé, pas totalement convaincu par le dénouement final.

«Les sœurs de Montmorts», de Jérôme Loubry, aux éditions Calmann-Levy, 414 pages, 20,50€