Avec «Aux quatre vents», Amélie Antoine s’essaie au récit historique

Habituée aux romans contemporains, Amélie Antoine s’essaie ici, avec «Aux quatre vents», au récit historique. Avec la Seconde Guerre mondiale en toile de fond, l’autrice nous plonge dans la vie d’un petit village où tout le monde se connaît, où tout se sait. Et surtout, où rien ne s’oublie.

par
Oriane Renette
Temps de lecture 6 min.

Ce livre est votre roman, mais ce n’est pas entièrement votre histoire. Racontez-nous.

«Je suis amie avec Jack Koch, illustrateur avec lequel j’ai fait un album pour enfants. Nous le présentions dans un salon lorsque l’on s’est mis à parler d’endroits abandonnés. Lui est fasciné par les maisons abandonnées, intrigué par leurs histoires. De mon côté, j’ai une passion pour l’urbex: l’exploration d’endroits désaffectés. Je trouve cet univers fascinant: l’atmosphère particulière des lieux, ce côté un peu sacré, et puis, la mémoire des murs. Jack m’a donc raconté cet embryon d’histoire qu’il avait en tête depuis longtemps: quelqu’un qui rachète des maisons d’un village et enlève les portes et fenêtres une par une, sans que l’on sache pourquoi.»

Qu’est-ce qui vous a séduit dans cette histoire?

«Instantanément, ça m’a parlé. Il y a quelque chose de très visuel avec ces maisons éventrées, et puis cette ambiance délétère et la suspicion qui s’installent autour... Donc s’il ne faisait rien de cette histoire, j’avais envie de travailler dessus. À une condition: d’être entièrement libre. Un an et demi plus tard, je lui ai tendu le bouquin en lui disant ‘ça y est, tu veux le lire?’»

L’histoire se déroule à Sabran-sur-la-Lys, un petit village où tout se sait, où tout le monde connaît tout le monde...

«C'est ça qui m'intéressait: l'atmosphère qui règne dans un village, avec toutes ses rumeurs. Tout le monde se connaît, et surtout tout le monde se connaît depuis toujours. Le roman alterne entre les années 1940 sous l’Occupation et l’année 1985. Et les personnages traversent les deux périodes. Il y a donc à la fois un passé et un passif. Car à l’issue de la guerre, les secrets ont été enfouis. Tout le monde s’est empressé de les reléguer au fond de leur mémoire. D’ailleurs, il ne vient aucunement à l’idée des villageois que le mystérieux inconnu qui rachète le village puisse être lié à leur passé.»

Vos personnages réagissent tous différemment et vous nous faîtes comprendre leurs choix. Finalement, chacun fait comme il peut?

«Oui. Mais les dilemmes auxquels on fait face, les choix que l’on pose, les chemins que l’on choisit de prendre... Tout cela est sans doute exacerbé en temps de guerre. Ce qui m'intéresse dans l'écriture, c'est de créer des personnages qui ne soient pas manichéens. Peu importe leur choix, jamais je ne me mets dans la position de les juger. C’est comme dans la vie. Il n’y a pas des gentils et des méchants. Mais des gens qui, confrontés à des choix, peuvent à certains moments de leur vie faire le meilleur, et à d’autres faire le pire. Il y a toujours deux facettes chez une personne.»

Ce que vous n’éludez pas non plus dans le roman, c’est la face la plus sombre de la Libération...

«C’est dans le même ordre d’idée. Communément, la Libération c’est la fin de l’oppression allemande, de l’Occupation. Mais ce fut aussi le temps des vengeances, de l’explosion des frustrations accumulées depuis des années. Et pendant un temps, on y a laissé libre cours sans rien ‘contrôler’. De plus, dans un petit village où tout le monde connaît tout le monde, où chacun a vu les autres vivre ces années de guerre... Il y a pu avoir des rancœurs. Parfois, on ne pardonne pas le bonheur d’autrui. C’est très humain, finalement.»

C’est la première fois que vous inscrivez votre récit dans un passé historique, non?

«Oui. Et ce ne serait peut-être jamais arrivé sans l’intervention de Jack. J’ai toujours eu envie d’écrire un roman situé pendant la Seconde Guerre mondiale. Mais je me demandais ce que je pouvais écrire de plus ou de mieux que ce qui avait déjà été fait. Quand j’ai eu cette histoire, avec tout ce pan humain, j’ai pu me plonger là-dedans. C’est chouette, parce que je pense que je ne me serais jamais sentie légitime de le faire autrement.»

Le prochain ne sera donc pas un second roman historique?

«Cela reviendra peut-être un jour, mais le prochain sera un roman contemporain, dans la lignée des précédents. C’est l’histoire d’une mère et d’une fille qui n’ont jamais vraiment réussi à se trouver et qui se détachent progressivement l’une de l’autre. Jusqu’au jour où un événement va pousser la mère à vouloir renouer avec sa fille avant qu’il ne soit trop tard... Ce livre parle de l’enfant que l’on a idéalisé en tant que parent mais qui n’existe pas. Comme il parle, quand on est enfant, du parent que l’on aimerait avoir mais que l’on n’a pas eu. Dans le roman, mère et fille doivent en finir avec l’idéal qu’elles avaient. On revient à la même idée: dans la vie, on fait toujours ce que l’on peut.»

Qu’est-ce que ça raconte ?

1985, Sabran-sur-la-Lys. Dans ce petit village du nord de la France, un mystérieux châtelain rachète une à une les maisons… pour en arracher portes et fenêtres avant de les laisser à l’abandon. Ces maisons, ouvertes aux quatre vents, font craindre le pire aux habitants qui voient leur village éventré, défiguré. Qui est cet inconnu qui se terre dans son château? Et que veut-il aux villageois? Déterminée, Léa décide de tout faire pour protéger son village d’enfance qui lui est si cher et qui, par le passé, lui a sauvé la vie. Mais pour ça, elle devra percer les secrets de ses habitants et faire ressurgir un passé que tout le monde était bien décidé à enterrer.

«Aux quatre vents», d’Amélie Antoine, XO éditions, 448 pages, 20,90€

Trois bonnes raisons de le lire (ou pas)

- Dès les premières pages, l’image est forte: ce village aux maisons éventrées, laissées «aux quatre vents». L’idée est originale, elle fonctionne. Surtout, elle nous nous plonge immédiatement dans une atmosphère bien particulière dont on ne se détache pas avant d’avoir refermé le roman.

- «Aux quatre vents», c’est aussi le portait de Léa, Ludmilla et Charlotte: des femmes fortes, déterminées et fidèles à leurs convictions. On s’attache surtout au personnage de Charlotte: une jeune femme qui rêve d’émancipation et qui voit ses projets s’effondrer avec l’arrivée de la guerre et de l’Occupation. Même quand tout lui échappe, elle se montrera intransigeante et prête à saisir la moindre chance de bonheur.

- En revanche, si vous aimez qu’un scénario vous surprenne, passez votre chemin. S’il faut un peu s’accrocher au début pour suivre les allers-retours entre les années 1940 et 1980, les pièces du puzzle s’imbriquent assez rapidement. Finalement, il ne nous aura pas fallu très longtemps pour percer les tenants et aboutissants de l’intrigue. On comprend vite où nous mène le roman.