Suspense sur rails avec le «Paris-Briançon» de Philippe Besson

Dans son nouveau roman, Philippe Besson nous embarque à bord du Paris-Briançon, l’un des derniers trains de nuit en activité. Au gré de rencontres fortuites, on y découvre une galerie de voyageurs. Mais l’auteur nous met en garde: tous n’arriveront pas vivants à destination.

par
Oriane Renette
Temps de lecture 5 min.

Aujourd’hui, les trains de nuit se font rares. Ce cadre qui relève presque du «fantasme», c’était inspirant pour vous en tant qu’auteur?

«Oui, précisément parce que les trains de nuit sont quasiment en voie de disparition. On doit donc faire appel à ses souvenirs ou à des fantasmes pour se les imaginer. J’ai pris de nombreux trains de nuit dans ma jeunesse, dont le Paris-Briançon. J’en avais conservé la mémoire d’instants d’une grande promiscuité qui favorisaient l’intimité. J’en avais aussi gardé le souvenir d’une certaine lenteur. Ce qui, à l’époque, pouvait nous déplaire devient aujourd’hui un luxe. Je me souvenais aussi de conversations improbables avec des inconnus. C’était un cadre idéal pour un roman: ça avait un ressort à la fois romanesque et romantique.»

Dans ces trains de nuit, il y a un rapport au temps particulier. Comme un énorme contraste avec notre société de l’hyper immédiateté.

«Absolument! Et l’on finit par se rendre compte que l’on ne va pas perdre du temps puisque l’on va y gagner autre chose: la possibilité d’une rencontre. Quand on entre dans un train à grande vitesse, la première chose que l’on fait est de brancher ses écouteurs et son téléphone pour faire disparaître le monde autour de soi. Dans les trains de nuit, on se retrouve à hauteur d’homme. Et il faut bien faire quelque chose de ce temps qui nous est dévolu et de ce huis clos dont on ne peut pas s’échapper.»

C’est cette promiscuité forcée qui nous pousse à faire un pas vers l’autre?

«On a toujours une espèce de méfiance à l’égard de l’autre. Dans le train de nuit, elle peut se transformer en confiance. Si le contact se noue, l’autre peut devenir un allié. Quelqu’un avec qui on peut partager quelque chose. Et d’autant plus que l’on croit que c’est sans conséquence: ces inconnus ne nous connaissent pas, ils emporteront notre histoire avec eux au petit matin. Donc il y a là une faculté plus grande à s’abandonner et à se dévoiler.»

Cela crée des instants de grâce, où vos personnages vont livrer leur vérité. Finalement, ce sont des moments assez rares dans la vie…

«Ils sont très rares parce que l’on est retenu par la pudeur, la honte ou une éducation qui nous obligent à dissimuler nos maux, nos souffrances ou nos névroses. Tous ces êtres sont des gens ordinaires. Je voulais raconter comment, au fond, chacun de nous est traversé par les maux de l’époque: la maladie, les violences conjugales, le désespoir d’une rupture, l’angoisse de l’avenir ou du déclassement social… Chacun porte sa valise de désirs, d’angoisses ou d’inquiétudes. Et lorsque les barrières tombent, ils vont pouvoir se délester de ce bagage un peu lourd devant l’autre.»

Pourquoi a-t-on tant de mal à exposer ces fragilités?

«On nous demande d’être forts. On est conditionnés à une certaine performance, une efficacité. Si l’on montre des fragilités, c’est perçu de manière négative. Alors on préfère se taire et sauver les apparences. On joue le rôle que l’on attend de nous. Parce que, finalement, c’est plus commode pour tout le monde. Sauf qu’à un moment, le carcan saute. On se rend compte que l’on est enfermé dans une personnalité qui n’est pas la nôtre. Ce qui m’intéresse quand j’écris des romans, c’est de raconter ces êtres cabossés, ces vies fissurées. Et ce moment où les cuirasses tombent, lorsque ces êtres se révèlent à eux-mêmes et aux autres.»

Dès le départ, on sait que tous les passagers n’arriveront pas à destination. Pourquoi cette construction?

«D’emblée, je voulais créer une tension permanente: la menace de la mort plane sur eux. Quand les heures sont comptées, ça confère une sorte d’urgence existentielle. Parce que la mort menace, on est ramenés à l’essentiel. Et on réalise que l’essentiel tient peut-être dans l’instant présent. J’ai choisi de sacrifier les personnages auxquels je m’étais le plus attaché car je voulais que leur mort frappe comme une injustice. À ce moment-là, on comprend quel est le prix de la vie, le prix de ces instants suspendus. Et quelle est l’importance de profiter des vivants tant qu’ils sont là.»

En quelques lignes

Une soirée de printemps, l’Intercités nº5789 quitte la gare d’Austerlitz pour rejoindre, au petit matin, celle de Briançon. A son bord, une centaine de passagers que rien ne relie sinon leur destination. Mais à l’aube, certains auront trouvé la mort. Au gré de rencontres fortuites et d’histoires passagères, des liens se nouent entre ces voyageurs. À la faveur de ces moments suspendus, on en découvre les failles et les vulnérabilités. Avec justesse et sensibilité, Philippe Besson dépeint une galerie de personnages aussi ordinaires qu’attachants. On est inévitablement cueilli par l’émotion face à ce qui se joue dans ce «Paris-Briançon». Et avec un suspens judicieusement mené pour couronner notre plaisir de lecture. 5/5

«Paris-Briançon», de Philippe Besson, éditions Julliard, 204 pages, 19€