Joël Dicker dévoile la suite de «L’affaire Harry Quebert»:«L’amitié est un pilier essentiel de la vie»

Depuis «La Vérité sur l’affaire Harry Quebert», qui l’a propulsé parmi les auteurs francophones les plus lus à travers le monde, Joël Dicker n’a cessé de nous prouver son talent pour les récits à rebondissements impossibles à lâcher. Et l’écrivain suisse nous en fait une nouvelle démonstration avec «L’Affaire Alaska Sanders», son premier livre auto-édité.

par
Oriane Renette
Temps de lecture 7 min.

Depuis «La Vérité sur l’affaire Harry Quebert», qui l’a propulsé parmi les auteurs francophones les plus lus à travers le monde, Joël Dicker n’a cessé de nous prouver son talent pour les récits à rebondissements impossibles à lâcher. Et l’écrivain suisse nous en fait une nouvelle démonstration avec «L’Affaire Alaska Sanders», son premier livre auto-édité.

Qu’est-ce qui vous a donné l’envie de retrouver Marcus Goldman?

«Quand j’étais dans l’écriture de ‘Harry Quebert’, donc en 2009, je voulais déjà en faire une trilogie. Et puis le succès est arrivé. J’en étais très content, mais en même temps ce succès m’a contrarié dans cette envie. Je ne voulais pas que les gens pensent que j’aie fait ce choix par facilité. Et puis le temps a passé. Entre-temps, j’ai fait autre chose. Le déclencheur, c’était donc l’envie d’être fidèle à cette idée de trilogie, qui date d’il y a 13 ans! Et en me lançant dans l’écriture, j’ai tout de suite eu le plaisir de retrouver Marcus, Perry et tous ces personnages. Ça, c’était le moteur.»

Comment avez-vous imaginé l’intrigue de ce nouveau roman?

«Je voulais raconter cette amitié entre Marcus et ce flic Perry Gahalowood, qu’il a rencontré pendant l’affaire Harry Quebert. Et j’avais envie de repartir sur du polar. Donc il me fallait un meurtre. Et puis après? Je n’ai pas de plan, donc je me suis laissé guider par les personnages. Quand il y a un plan, l’esprit est formaté: il suit une direction déjà établie. Sans plan, on est libres de toute contrainte et on fait plus de découvertes. On va plus loin.»

Ces retrouvailles avec Harry Quebert, les attendiez-vous autant que Marcus?

«Ce livre est la continuité de l’‘Affaire Harry Quebert’. On a des réponses à des questions que l’on se posait à la fin du roman: qu’était devenu Harry? Où était-il? J’avais envie de savoir. Il restait des choses que je n’avais pas explicitées, même à moi-même. J’avais besoin d’aller au bout.»

L’amitié qui lie Marcus à Perry ou à Harry est au cœur du roman. Pour lui, les amis les plus importants ne sont pas nécessairement ceux que l’on voit le plus. C’est aussi votre perception de l’amitié?

«L’amitié est un pilier essentiel de la vie. C’est l’une des rares choses gratuites dans le monde, et pas seulement d’un point de vue financier: un ami, c’est quelqu’un dont on peut recevoir sans qu’il n’attende rien en retour. C’est quelque chose de très fort. Et dans le monde dans lequel on vit, c’est parfois difficile de faire le tri. On est tellement ‘Instagramé’, ‘Facebooké’, que l’on a l’impression d’être ami avec tout le monde. Mais ‘être amis sur Insta’, ça biaise l’idée de l’amitié. À savoir l’idée qu’au-delà de passer de bons moments ensemble, avoir un ami c’est avoir quelqu’un qui est là pour vous. Quelqu’un pour vous épauler dans la vie, quoiqu’il arrive.»

Y a-t-il de vous dans Marcus Goldman?

«Oui, mais comme n’importe lequel de mes personnages: je les ai créés donc ils sont forcément une prolongation de moi. Je me glisse dans leur peau. Après, j’ai de la peine à voir où est la frontière. Je dirai que ce qui est le plus évident est le moins proche. Ce n’est pas tant le parallèle sur l’âge ou le statut d’écrivain à succès. C’est plutôt l’ami fidèle qu’il est, et comment il se retrouve dans des aventures pas possibles pour venir en aide à son copain. Ça, c’est un truc que je pourrais faire. Les grandes amitiés sont importantes pour moi.»

Marcus se questionne sur ce que le succès lui a coûté. Ce ne sont donc pas vos propres réflexions?

«Pas tellement. Pour Marcus, c’est aussi un questionnement sur ce qu’il représente, sur son image par rapport à l’autre. Est-ce que les gens le connaissent vraiment où n’en connaissent-ils qu’une image lisse et parfaite? Et cette recherche du succès dans l’image qu’on donne, c’est ce que l’on fait tous aujourd’hui sur les réseaux sociaux. Se mettre en image, et non plus être dans la capture de l’instant pour soi. Cette projection immédiate de l’autre, cette façon de se mettre dans un rapport de supériorité à travers l’image, c’est particulier. Ça m’interroge: qu’est-ce que l’on construit avec ce mode de fonctionnement?

Ce livre est le premier que vous éditez dans votre propre maison d’édition…

«Bernard de Fallois [son ancien éditeur, décédé en 2018, ndlr] avait la volonté que sa maison ne lui survive pas. Je n’avais pas envie d’aller chez quelqu’un d’autre parce que j’avais le sentiment de trahir Bernard. Créer ma maison a été une suite assez logique, dans la mesure où c’était la continuité de cette route initiée avec lui: on construisait vraiment ces livres ensemble.»

D’où vient ce nom, Rosie & Wolfe?

«Je voulais un nom qui marque une identité, qui ait une résonance pour moi mais sans être le mien. L’idée de cette maison est de parler de littérature et d’écriture, de lire et d’écrire. Ça m’a ramené à deux personnes importantes dans ma vie. Rosie, une amie de la famille, était surtout une lectrice très curieuse. Elle m’a fait beaucoup lire. Et Wolfe était mon grand-père. Il avait écrit un livre à la fin de sa vie. Je me souviens d’avoir eu ce manuscrit entre les mains et de m’être demandé ‘est-ce que un jour je pourrais écrire un livre comme ça?’ Je voulais leur rendre hommage.»

À peine sorti, le livre s’est hissé au top des ventes. Un doublé avec «la Chambre 622» en poche. Ça reste une surprise, même quand on s’appelle Joël Dicker?

«Bien sûr! Le jour où je n’ai plus le trac quand un livre sort, c’est qu’il faut que j’arrête de faire ce métier! Pour le moi, ce tract dit tout de la sincérité du projet. Il raconte à quel point j’y ai mis mes tripes et mon énergie. À quel point, aussi, j’ai pris des risques avec ce livre. Je lis parfois qu’au fond, c’est facile, qu’il suffit d’appliquer une recette pour qu’un livre se vende bien… Mais pas du tout. Il n’y a pas de recette miracle. Et c’est cela qui fait la magie de la littérature. C’est cela qui en fait sa force incroyable: il faut être prêt à tout.»

En quelques lignes

Avril 1999. Dans un paisible petit village du New Hampshire, le corps d’Alaska Sanders, arrivée depuis peu en ville, est retrouvé sans vie. L’enquête, confiée au sergent Perry Gahalowood, est rapidement bouclée. Le coupable a avoué, faisant plonger son complice avec lui. Mais onze ans plus tard, une lettre anonyme sème le doute: et si le véritable coupable était toujours en liberté? Pour faire toute la lumière sur cette affaire resurgie du passé, Gahalowood retrouve son ami écrivain et enquêteur à ses heures, Marcus Goldman.

Si l’«Énigme de la Chambre 622» nous avait un peu laissés sur notre faim, on s’est laissés emporter avec plaisir dans cette nouvelle enquête menée par la main de maître de Joël Dicker. On y retrouve tous les protagonistes de «La Vérité sur l’Affaire Harry Quebert», comme tous les ingrédients qui en ont fait son succès: le rythme, l’émotion, un page-turner diablement efficace ainsi qu’un voyage entre fausse-pistes et rebondissements pour un dénouement que nul n’aurait pu prévoir. Un très bon moment de lecture. 4/5

«L’affaire Alaska Sanders», de Joël Dicker, éditions Rosie & Wolfe, 576 pages, 23 €