Frank Thilliez explore les méandres de la mémoire dans «Labyrinthes»

Méfiez-vous de votre mémoire elle peut vous jouer des tours! Avec Franck Thilliez, cet adage est poussé à son paroxysme dans «Labyrinthes»: une nouvelle enquête complexe qui nous emmène dans les dédales des souvenirs, des souvenirs ne sont pas toujours ceux que l’on croit…

par
Oriane Renette
Temps de lecture 6 min.

Pour ce nouveau roman, pourquoi avoir choisi de plonger au fond de notre mémoire?

«Tout ce qui a trait aux dysfonctionnements du cerveau m’a toujours passionné: les maladies psychiques, la mémoire, l’amnésie… Pourquoi oublie-t-on certaines choses quand on en retient d’autres? Dans ‘Labyrinthes’, c’est la question du souvenir: est-ce que le souvenir que j’ai d’un événement est réellement ce qu’il s’est passé? Plus particulièrement encore, la question des faux-souvenirs: des gens qui pensent avoir vécu un événement… mais qui n’a jamais existé. Il ne s’agit pas de souvenirs modifiés. Ici, c’est vraiment une création totale du cerveau, soit pour combler des vides, soit protéger une personne. C’était un vrai sujet à creuser.»

Un autre thème majeur du livre, c’est l’électro-sensibilité.

«Il y a deux ans, je suis tombé sur ce sujet des électro-sensibles: ces gens obligés de s’isoler, de vivre comme des Robinson au fond du monde, car ils ne supportent plus les ondes. C’était le bon moment pour ressortir ce sujet: j’avais plein de personnages dans ‘Labyrinthes’, et pour chacune de ces femmes, je voulais une caractéristique forte et un décor spécifique. L’une d’entre elle menait une vie normale de psychiatre en ville jusqu’au jour où, à cause de son électro-sensibilité, sa vie bascule. Elle est obligée de partir se réfugier dans un chalet au fond d’une forêt. Non seulement ce sujet me permettait de planter une ambiance particulière, mais aussi de montrer l’enfer que ces gens-là vivent au quotidien. C’est aussi cela, le thriller: découvrir des faits de société qui font partie de notre monde.»

Pourquoi uniquement des personnages féminins?

«Ici, cela se prête à la mécanique de l’histoire. J’ai toujours aimé les personnages féminins car je voulais aller à l’encontre de ce que l’on trouvait habituellement dans les romans policiers (le vieux flic alcoolique, borderline…). Et avoir une héroïne qui évolue dans un milieu masculin, et plutôt hostile aux femmes, ça me donnait de la matière pour écrire. Après, c’est aussi montrer que, dans les domaines les plus sombres de l’âme humaine, les femmes peuvent aussi être l’égal de l’homme: en matière de cruauté, de machiavélisme, de perversion… Il y a les deux facettes: l’une plus lumineuse, l’autre plus obscure.»

«Labyrinthes» est le titre du roman. En un sens, c’est aussi mécanique du genre du thriller. Vous vous y perdez parfois?

«J’ai toujours une trame générale, avec des étapes à suivre et un but final. C’est comme le Tour de France: on connaît les étapes, on sait où sont les difficultés, où se place la ligne d’arrivée… Mais pendant l’écriture, il y a parfois des choses qui nous emmènent en dehors du schéma. Au début, je sais que je vais galérer. Mais c’est bon signe! Le livre est une succession de problèmes à résoudre. Cette complexité, c’est aussi le signe que le livre sera bon.»

Comment parvient-on à se renouveler après… 21 romans?

«Il faut aller chercher de nouvelles idées, de nouvelles manières d’écrire, de nouvelles structures… Finalement, c’est le plus compliqué dans l’écriture: cette partie purement cérébrale où il faut creuser, aller chercher l’idée qui va résonner en nous et puis lui apporter une originalité propre. Pour la trouver, on se met dans une phase d’éponge et ça peut venir de partout: d’une scène dans la rue, d’un fait divers, de l’actualité, d’une série, d’une revue scientifique…»

Vous venez de livrer vos secrets d’écriture dans un autre livre, «Le plaisir de la peur». Pourquoi cette démarche aujourd’hui?

«Ça fait 20 ans que j’écris. On parlait de mémoire: je me souviens de ce qu’il s’est passé mais je commence à oublier un peu! Comment je me suis mis à l’écriture, comment j’ai quitté mon métier d’ingénieur, les souvenirs de mon premier roman, les débuts du succès… Il s’est passé plein de choses durant ces 20 dernières années, et je voulais rassembler tout cela, avant d’oublier. Après cette partie biographique, il y a une partie atelier d’écriture pour présenter l’envers du décor, les secrets de fabrication d’un livre. Avec un côté personnel pour répondre aussi à la curiosité des gens, qui se demandent souvent ce qu’il se passe dans la tête de l’écrivain.»

Et que vos lecteurs se rassurent: rien à voir avec l’écrivain dans «Labyrinthes»!

«Non, il est un peu corsé celui-là! (rires) Mais il pose quand même cette question: pourquoi écrit-on sur la violence? Est-ce que, en faisant cela, on fait en sorte qu’elle se répande encore plus? Ou au contraire, est-ce notre devoir d’en parler car elle fait partie du monde? Mettre des écrivains dans les romans, c’est aussi une manière de répondre à ses propres questions, celles que l’on se pose nous-même sur notre métier.»

Aujourd’hui, vous avez les réponses?

«Sur la violence qui se transmettrait: c’est non, car ce n’est pas un livre qui déclenchera le passage à l’acte, le meurtre. Si une personne franchit cette limite, cela dépend d’une multitude de paramètres, profondément enfouis en lui. Mais pas d’un livre.

Dans les polars, on décrit une certaine forme de violence. Tous les artistes, à un moment donné de leur parcours, ont décrit la violence. Ils l’ont peinte, l’ont chantée, l’ont revendiquée… Parce qu’elle fait partie de la société depuis la nuit des temps. Et que le rôle de l’artiste, de l’écrivain, est d’apporter un regard sur la société dans laquelle il vit.

En quelques lignes

Dans un chalet reculé, le corps sans vie d’un homme vient d’être retrouvé, son visage réduit en bouillie à coups de tisonnier. Et l’unique suspecte du crime n’en a… aucun souvenir. Épaulée par un psychiatre à qui la suspecte s’est confiée, Camille Nijinski va tenter de démêler cette histoire et de percer les mystères de cette enquête hors-norme où s’entremêlent cinq protagonistes, toutes des femmes. Avec une écriture toujours aussi efficace, Franck Thilliez nous mène dans une intrigue complexe en poupées russes. Une construction originale… au risque de se perdre dans les dédales de ce labyrinthe mnésique. 3/5

Labyrinthes, de Franck Thilliez, éditions Fleuve Noir, 374 pages, 21,90€