Benoît d’Halluin signe son premier roman : «Je voulais que les gens comprennent ce que c’est que d’être gay aujourd’hui»

Benoît d’Halluin signe un premier roman réussi avec «Une nuit sans aube»: une histoire d’amour teintée de suspense, entre Paris et New York.

par
Oriane Renette
Temps de lecture 6 min.

Comment est né ce premier roman?

Benoît d’Halluin: «Je ne sais pas si l’on choisit l’écriture, c’est plutôt l’écriture qui nous choisit. J’ai toujours beaucoup écrit. J’ai vécu à New York. Et peut-être de manière intense, sans avoir vraiment le temps de prendre du recul. Après avoir attrapé le Covid au début du premier confinement, je suis rentré en France. Je voulais raconter ce que j’avais vécu à New York. Et puis, c’est inspiré de ce qui m’est arrivé puisque quand j’ai été très malade là-bas. Je n’avais personne à mon chevet, ni mes frères et sœurs, ni mes parents. Dans l’histoire, Alexis se retrouve seul dans le coma, à l’hôpital de New York. Je pense qu’on n’écrit jamais vraiment. On se raconte toujours un peu. Je voulais surtout parler du paysage amoureux gay contemporain. L’histoire était d’abord prétexte à cela.»

La thématique vous tenait plus à cœur que l’histoire en soi?

«Ce livre, je l’ai écrit en voulant que les gens comprennent ce que c’est que d’être gay aujourd’hui. C’est pour ça que j’en ai fait un livre grand public gay: il y a une intrigue, un pageturner et tu finis par oublier que ce sont deux garçons. Et pour les gays, c’était l’inverse. Je l’ai écrit en voulant en faire un livre qui soit juste. Il y a souvent deux courants dans la littérature gay: soit des livres très sombres, soit très éthérés. C’est difficile de s’identifier. Entre le glauque et le sublime, il y a peut-être une troisième voie que j’ai voulu explorer.»

C’est une histoire à la fois gay et universelle.

«Oui, si ça peut faire bouger un peu les lignes, je ne demande que ça. Et en même temps, je voulais qu’on ne les regarde pas qu’à travers ce spectre-là: ils se posent les mêmes questions que tout le monde sur la vie en entreprise, sur les enfants, sur les projets de vie, la jalousie, les liens familiaux, etc..»

Revenons à l’intrigue. Un inconnu prévient la mère d’Alexis et l’emmène le retrouver. Elle se rend compte qu’elle ne connaît pas ou plus son fils…

«J’avais envie que, à la faveur d’une nuit, des personnages se resserrent, dans cette espèce de huis clos nocturne où elle découvre tout un truc. Tout vole en éclat, mais avec douceur.

Je voulais aborder différents sujets gays, dont le coming out. Il y a plein de cas de figure. Alexis vient d’une famille aimante et ouverte. Mais il lui est arrivé quelque chose dans sa jeunesse dont il se sent coupable. Donc il se tait, de peur que les choses soient emmêlées. De fil en aiguille, il se retrouve dans un engrenage, contraint de poursuivre dans le mensonge.»

Marc, lui, vit une situation différente.

«Marc est Corse. Après son coming out, son père le menace. Marc le prend au mot et s’en va. Comme son père l’a rejeté, il fait le choix d’avoir une forte ambition professionnelle. Il travaille dans la finance mais, comme on dit aux États-Unis, ces métiers sont souvent des ‘bullshitjobs’, très déshumanisés. Il ne trouve pas de sens dans son travail. Il a coupé les ponts avec sa famille. Il a juste envie d’aimer, d’être aimé et de vivre avec quelqu’un. Mais à New York, en 2020, c’est difficile.»

Difficile, cet amour au temps des réseaux sociaux?

«Oui. Je pense que l’on confond tout: l’amour, le désir, la passion… Tout est mélangé. Quand les gens ne ressentent plus de passion, ils pensent que c’est la fin de l’amour. Peut-être aussi qu’on ne laisse pas le temps au temps. Or, les personnages changent, ils évoluent. Au début, Marc et Alexis recherchent des frissons. Et à un moment, Marc dit à Alexis: ‘je t’aime pour des milliers de raisons, mais aussi parce que je veux t’aimer’. L’amour, c’est aussi une histoire de choix.»

C’est l’idée qu’un couple, ça se construit?

«Oui, et je pense aussi que c’est ça qui est plus dur chez les gays. Parce que même si le mariage est possible, ce n’est pas une ‘obligation’, du moins c’est moins fréquent que chez les hétéros. Or, quand tu veux te marier, ça pousse à se poser la question: c’est lui ou ce n’est pas lui? Si tu ne comptes pas te marier, et qu’en plus il n’y a pas d’horloge biologique en jeu, tu peux laisser les choses s’étaler et vivre dans une forme d’adulescence perpétuelle. Il n’y a rien qui ressemble plus à un gay de 25ans qu’un gay de 40ans.»

Marc, lui, veut sortir de cela?

«Marc veut échapper à cette destinée collective. À un moment donné, il découvre une étude ‘The Epidemic of Gay Loneliness, Huffington Post, 2017’ qui démontre que, quelles que soient les conditions légales qui encadrent leur vie, les indicateurs sociaux du bonheur des gays sont les mêmes à travers le monde. Et que les taux d’alcoolisme, de dépression, de solitude, de suicide, de pathologies… sont plus importants que chez les hétéros. Je voulais en faire un livre positif: grâce à l’amour, Marc va faire mentir ces statistiques. Il va être sauvé par l’amour.»

Est-ce qu’il y a de vous dans vos personnages?

«On raconte toujours qui l’on est en écrivant. Je dirais que j’ai le côté solaire d’Alexis, le côté plus anxieux de Marc, et le côté maternel, parfois candide de Catherine. Surtout, ce qui ressort, c’est ma conviction profonde: que la vie n’est pas simple, pour personne. Quel que soit le milieu d’où l’on vient ou notre orientation sexuelle. Mais ce qui compte, ce que l’on retiendra à la fin, c’est l’amour que l’on aura donné et celui que l’on aura reçu. Tout le reste, on s’en fout.»

En quelques lignes

Dans la douceur de l’été indien new-yorkais, un jeune homme se promène sur un pont lorsqu’une voiture se dirige droit sur lui et le percute. Au milieu de la nuit, Catherine reçoit l’appel d’un inconnu. Il lui apprend que son fils Alexis est dans le coma. Il propose de l’emmener le retrouver à New York. Qui est cet homme? Que lui cache-t-il? Dans ce roman bien d’aujourd’hui, qui vacille entre suspense et romance, chacun se dévoile à la faveur d’une nuit. Littérature grand public et roman gay vont rarement de pair… à tort, comme nous le prouve ici Benoît d’Halluin. Et c’est diablement rafraîchissant! Avec «Une nuit sans aube», l’auteur franco-canadien signe un premier roman réussi et lumineux, qui nous donne des envies de soleil et d’amour. Le livre idéal à glisser dans vos valises cet été! PS: Foncez à la dernière page du livre. Vous y trouverez un QR code renvoyant à la bande originale du roman pour bercer votre lecture. 4/5

«Une nuit sans aube», de Benoît d’Halluin, XO Éditions, 352 pages, 19,90€