Avec «Les dominos de la vie», Laure Manel nous partage une partie de la sienne

Dans son dernier roman «Les dominos de la vie», l’autrice Laure Manel lève le voile sur les violences obstétricales et médicales. Et surtout, sur comment se reconstruire quand on a traversé une épreuve qui vous transforme à jamais.

par
Oriane Renette
Temps de lecture 4 min.

Dans ce roman, on voyage entre présent et passé. Pourquoi cette construction?

«Mon héroïne Amélie a été confrontée à une épreuve médicale. Dès le début du roman, elle apprend une bonne nouvelle: sa tumeur est stabilisée, elle est tirée d’affaire. S’en suit une prise de conscience et l’envie de mener une vie un peu différente. Je voulais traiter de l’après-maladie et de la reconstruction, sans pour autant occulter le sujet de la maladie. Je voulais que les lecteurs sachent par quoi elle est passée. C’est pour cela que j’ai choisi la narration en deux temps: l’intrigue principale se focalise sur la vie d’Amélie dans le présent, et le passé revient par flashbacks avec des passages purement médicaux. Elle se remémore ce qu’elle a vécu.»

Dans ces passages, il est question des violences obstétricales et médicales. C’est du vécu?

«Oui. Au début, je voulais en faire une pure fiction. Finalement, j’ai changé d’avis en cours d’écriture. Je voulais une histoire inspirée de la mienne, sans être pour autant la mienne. J’assume ce côté autobiographique qui, justement, me permet d’avoir la légitimité pour aborder ce sujet. Ça assure aussi ce côté authentique. Le message que je voulais transmettre, c’est un message d’espoir, un message positif sur les épreuves de la vie. Elles peuvent aussi changer votre destin et mener à du mieux pour la suite.»

Si vous avez eu envie d’en parler, c’est parce que vous estimez que c’est un sujet encore tabou?

«Oui, le sujet a commencé à émerger ces dernières années, bien que le Covid ait un peu éclipsé tout ça. Mais je ne l’ai pas choisi pour prendre volontairement un sujet tabou ou politique. Pour moi, c’était le moment d’en parler, et peut-être de réveiller quelque chose. Malheureusement, je suis loin d’être un cas isolé. C’est important d’en parler, d’interpeller. Et en parler à travers un roman, c’est assez rare. Je voulais aussi écrire une histoire qui a une portée universelle: comment peut-on se reconstruire après une épreuve? Car l’on traverse tous des épreuves, qu’elles soient médicales ou autres.»

Le roman permet aussi d’explorer tous les sentiments que l’on ressent face à ces violences-là: incompréhension, injustice, colère et même haine…

«Quand on est injustement traitée, maltraitée, surtout dans un moment qui est censé être heureux, ça peut rendre haineux. C’est terrible de vivre cela quand on est là pour donner naissance à son enfant. Pour moi, cet accouchement a eu des conséquences psychologiques et physiques. Ce n’est pas toujours le cas. La violence obstétricale, ce n’est pas seulement une histoire de geste médical: elle peut être dans les paroles ou l’attitude du médecin.

Mais au-delà de ça, j’ai aussi voulu montrer que l’on peut pardonner. Pour moi, il est clair que sans cette épreuve-là, je ne serai pas où je suis aujourd’hui. Ce roman explique aussi comment et pourquoi j’en suis venue à l’écriture.»

L’après guérison, comment ça se passe pour Amélie?

«Une maladie, forcément, ça bouleverse. Ça fait voir la vie autrement. Amélie, elle, veut vivre plus intensément. Même si sur papier ‘tout va super bien’, elle veut vivre autre chose. S’écarter des rails sur lesquels elle s’est lancée. La guérison n’est pas une renaissance. Elle est un bouleversement qui fait changer de trajectoire, ou qui donne en tout cas la possibilité de changer de trajectoire de vie. Pour Amélie, c’est de partir à la quête d’elle-même: de trouver qui elle est, et quelle est la vie qu’elle veut mener pour être en accord avec elle-même.»

Il y a comme une urgence de vivre?

«Dans cette après-guérison, on est dans une lucidité. Cette lucidité-là, souvent, elle vient plus tard, avec l’âge. Mon héroïne n’a que 30 ans quand elle a cette prise de conscience. Ça la bouleverse, ça la tourmente. Et elle se met en danger en quittant son petit confort, sans savoir où elle va aller. Il y a une vraie prise de risque. Comme dans tout changement de vie.»

En quelques lignes

Amélie, architecte d’intérieur mariée à son amour de lycée et heureuse maman d’un petit garçon, vient de remporter une épreuve médicale. Elle est guérie. Après le soulagement et la joie, vient le temps des questionnements. Et si cette vie n’était pas celle qui lui convenait? Bien décidée à embrasser pleinement cette nouvelle chance, Amélie ose partir en quête du bonheur, mais surtout d’elle-même.

Dans ce récit en partie autobiographique, Laure Manel aborde, sans tabou ni discours simpliste, le sujet des violences obstétricales, gynécologiques et médicales. Un thème qui fait l’intérêt du livre, d’autant qu’il est rarement abordé dans les œuvres de fiction.

Les dominos de la vie, de Laure Manel, éditions Michel Lafon, 384 pages, 18,95€