Quentin Tarantino dans 'Les huit salopards': "C'est mon film le plus politique"

par
Laura
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Ils se sont d'abord échappés sur internet, puis n'ont failli pas voir le jour, mais finalement, les ‘Huit Salopards' de Tarantino sont bien là! Après ‘Django Unchained', le réalisateur texan renoue avec le western sécessionniste en enfermant huit repris de justice dans une cabane sous la neige. Violence, bavardages, décors soignés et bande originale puissante se mélangent dans ce film situé vers 1870, mais qui est aussi l'un de ses plus actuels.

L'an dernier, après que le scénario du film ait ‘fuité' sur internet, vous aviez annoncé que vous annuliez le tournage. Qu'est-ce qui vous a fait changer d'avis?

Quentin Tarantino: "En avril 2014, on a monté une lecture publique du scénario dans un théâtre de Los Angeles, avec les acteurs. Et dès les répétitions, j'ai commencé à y réfléchir. Et puis bon, j'ai aussi fini par me calmer (rires)! Mais sur le moment, j'étais vraiment fâché, ça a niqué ma méthode de travail à un moment crucial, et ça m'a juste donné envie de tout plaquer. Mais c'est vrai que la lecture publique a beaucoup aidé, j'ai pu voir les acteurs jouer le tout, et je me suis dit: ‘Waw, c'est vraiment fort'."

Il paraît que Samuel L. Jackson est le seul qui a le droit de modifier ses dialogues, c'est vrai?

"Oui, parce que le truc, c'est que Sam est un très bon auteur -et c'est rare que je dise ça pour un acteur. En général, quand un acteur improvise, c'est pour rajouter des insultes, des ‘oh' et des ‘ah', ou il paraphrase simplement le texte parce qu'il est trop fainéant pour l'apprendre par cœur. Mais Sam est particulièrement doué pour étoffer ses personnages. Il fait des propositions, si j'aime, je prends, sinon je laisse, et il ne se vexe pas: c'est mon film, il le sait. Cela dit, ce qui est très cool, c'est que ce n'est pas une idée farfelue née d'une improvisation sur le moment: il y a réfléchi des jours, voire des semaines à l'avance! Dans ‘Django Unchained', par exemple, c'est lui qui a eu l'idée de répéter les fins de phrases de Calvin Candie (Leonardo DiCaprio, ndlr): on était tous morts de rire tellement c'était génial!"

Dans le rôle de Daisy Domergue, Jennifer Jason Leigh se prend quelques sacrées raclées. Avez-vous peur qu'on vous reproche d'être violent envers les femmes?

"Non, je ne suis pas d'accord avec ça. C'est vrai qu'elle se prend quelques solides coups de coude dans la gueule, mais des choses bien pires arrivent à d'autres personnages du film, hommes ou femmes! Par ailleurs, il ne faut pas oublier que nous sommes à une époque bien spécifique, et aussi violent que John Ruth (Kurt Russell, ndlr) soit avec elle, il pourrait tout aussi bien sortir son flingue et lui tirer en plein dans le cœur, et personne n'y trouverait rien à redire. Je ne dis pas c'est bien, mais Daisy est une criminelle recherchée ‘morte ou vive', donc en soi, elle s'en sort plutôt pas mal (rires)!"

Ennio Morricone avait déclaré publiquement ne plus jamais vouloir retravailler avec vous après votre utilisation de ses morceaux dans ‘Django Unchained'. Mais il semblerait que vous vous êtes réconciliés, puisqu'il a signé la musique -originale, qui plus est- de ce film?

"Cette histoire a été un peu exagérée, mais c'est vrai que je voulais travailler avec lui depuis longtemps, et qu'on a eu des soucis pour y arriver. Ça s'est presque fait sur ‘Inglourious Basterds', et idem sur Django, mais aucun de nous deux n'a vraiment fait le premier pas. Mais sur ce film, pour la première fois, une petite voix dans ma tête me disait qu'il méritait sa propre bande originale. J'ai donc fait confiance à cette petite voix, et on a repris contact. La première étape a été de traduire le scénario vers l'Italien, pour qu'il puisse le lire. Sa femme l'a lu aussi, et elle a adoré -ce qui a peut-être facilité les choses (rires)! On a eu une grosse discussion, très fructueuse, et il a fini par se laisser convaincre de composer un thème musical. Et puis, quand il s'est mis à composer, ça l'a inspiré, et le thème est devenu une partition complète!"

Vous avez déclaré que c'est votre film le plus politique…

"Oui, j'ai été moi-même étonné, durant l'écriture, de la tournure politique que prenaient certains dialogues. En tant que réalisateur, c'est mon job de ne pas juger mes personnages, et c'est quelque chose que je m'efforce de faire. J'essaye de les appréhender en tant que personnes, avec des désirs et valeurs qui leur sont propres. Et je ne vais pas modifier l'histoire pour leur ‘donner une leçon' ou quelque chose comme ça. Cela étant dit, je déteste les états confédérés, pour moi c'est un peu comme de Nazis! Quand le personnage de Chris Mannix défend le racisme, c'est moi qui mets les mots dans sa bouche, mais cela ne reflète pas mon point de vue! Donc j'étais plutôt content de réaliser que je me sentais connecté aux personnages au point de pouvoir leur écrire de tels dialogues."

Le film se passe en 1870, mais certains commentaires sur l'Amérique font écho à l'actualité…

"Oui, il y a un effet ‘miroir' entre les deux Amériques de l'époque et celles d'aujourd'hui. Un ami m'a fait une remarque que j'ai tellement aimée, que je lui ai piqué: il a dit que ce film pourrait être mon premier film post-apocalyptique. Et en un sens, c'est vrai: la société dans laquelle les personnages vivent a volé en éclats, et les survivants se retrouvent dans cet abri au milieu de nulle part, et blâment l'autre pour l'apocalypse. Mais dans ce cas, l'apocalypse, c'est la guerre de Sécession."

À un moment, un personnage lit une lettre signée d'Abraham Lincoln, dans laquelle il dit qu'il y a ‘encore un long chemin à parcourir'. Certains y ont vu un commentaire sur la récente avalanche de meurtres commis sur des Noirs par des policiers…

"Oui, il y a de ça, mais n'exagérons pas non plus: comparée à aujourd'hui, la vie d'un homme Noir à l'époque valait beaucoup, beaucoup moins! Et l'attitude des gens était très différente. Je pense que nous avons fait beaucoup de progrès depuis, mais ce que dit Lincoln reste vrai: il y a encore beaucoup à faire. Et je pense qu'on peut dire que ces 30 dernières années, on a fait marche arrière, particulièrement en termes de racisme institutionnel, c'est-à-dire lié aux institutions et aux positions de pouvoir."

En quelques lignes

Huit salopards (dont une saloparde), une cabane au milieu de nulle part, le blizzard dehors, et une bonne dizaine de flingues: le nouveau long-métrage de Quentin Tarantino est aussi son premier huis clos. Le précédent, ‘Django Unchained', se passait juste avant la guerre de Sécession; celui-ci débute juste après, sur une route enneigée. C'est là que la calèche du chasseur de primes Jon Ruth (Kurt Russell) et de sa prisonnière Daisy Domergue (Jennifer Jason Leigh) croise le chemin du Major Marquis Warren (Samuel L. Jackson), ancien soldat de l'Union reconverti lui aussi en chasseur de primes. Avant de rejoindre la ville de Red Rock, où Daisy sera pendue, le trio arrive à la mercerie de Minnie pour se protéger de la tempête de neige imminente. Petit problème: Minnie est introuvable, et cinq types plutôt louches ont pris sa place… Pour savoir qui s'en sortira vivant et qui finira avec la cervelle sur les murs, préparez-vous à passer trois longues heures, divisées en six chapitres, avec huit héros bavards. Certes, dès ‘Pulp Fiction', le cinéaste nous avait habitués aux films longs, mais ces dernières années, la fébrilité et le montage nerveux des débuts se sont peu à peu effacés au profit de reconstitutions historiques à la scénographie certes remarquable, mais lourde comme des santiags en croco. Car des décors soignés à la pellicule 60mm en passant par les objectifs anamorphiques ou le format 2,76: 1 Ultra Panavision des ‘seventies' façon ‘Ben Hur', Tarantino n'a pas lésiné sur les effets. Ni sur la musique originale, signée par le Maestro Ennio Morricone. Las, cela ne suffit pas à combler le manque de rythme et d'action d'un scénario qui semble tiré exprès au maximum. Même les dialogues traînent des pieds malgré quelques saillies brillantes, délivrées par des comédiens boursouflés dans des costumes plus lourds qu'eux. On a beau être un aficionado de la première heure du réalisateur texan, rien n'y fait: dans cet opus situé quelque part entre le vieux western et le remake des ‘Dix Petits Nègres' (pour le huis clos, les meurtres en série et l'emploi allègre du mot ‘nègre'), la mayonnaise ne prend pas.

2/5