Matthieu Lietaert: L'économie collaborative, ce n'est pas qu'Uber et AirBnb

par
Laura
Temps de lecture 4 min.

Pour l'auteur Matthieu Lietaert, il y a tout à gagner d'un système qui permet la meilleure allocation possible des ressources. A condition toutefois de se réapproprier le modèle, et ne pas le laisser entre les mains de quelques grandes sociétés.

On parle de plus en plus d'économie collaborative. C'est quoi ?

« L'économie collaborative est la capacité que nous avons de nous connecter les uns aux autres, sans intermédiaire et grâce à Internet, pour nous échanger des biens et des services. Nous pouvons plus facilement nous partager nos voitures, outils, jouets, etc. La coopération entre les individus fait partie de l'histoire de l'humanité. Depuis Homo Habilis, l'être humain n'aurait pu se développer sans coopération. Mais au XXe siècle, la notion d'individualisme a pris le dessus. D'un coup, on a cru que l'individu pouvait exister seul. Mais après un siècle à vivre de la sorte, on commence à s'apercevoir que ça ne marche pas. Ce modèle est responsable de nombreuses crises : financière, climatique, surproduction, guerres… »

En parallèle à cette montée de l'individualisme, on constate pourtant de nouvelles pratiques collaboratives.

« Chaque individu a des biens ou des services à proposer. Ca a toujours été le cas, mais il y a un nouveau paramètre : internet. Moi j'ai découvert le web en 1998. En moins de 20 ans, nous nous sommes alphabétisés au web. Désormais, si je veux une voiture, je prends mon smartphone, et en quelques minutes j'ai une Cambio qui m'attend, pour 20€ tout compris pour l'après-midi. Nous avons besoin de mobilité, non pas d'une voiture personnelle qui dort sur un parking et nous coute cher. »

En quoi cela répond-il à un problème de société ?

« La crise climatique à laquelle nous faisons face est liée à nos habitudes de consommation. Grâce à l'économie collaborative, nous n'avons plus besoin de posséder un bien, mais simplement de pouvoir y accéder temporairement. Cela veut dire que j'ai besoin de moins de ressources. Par contre, les ressources utilisées le sont d'une façon optimale. »

C'est-à-dire ?

« Dans le système soviétique, on considérait que l'individu avait besoin d'un bien, donc on le produisait sans tenir compte de la demande réelle. Par exemple, on savait qu'il aurait besoin d'une foreuse, donc on en produisait en masse. C'est une approche top-down, du haut vers le bas. L'économie de marché, c'est l'inverse, le consommateur oriente la production en fonction de sa demande. Quand il a besoin d'une foreuse, il en achète une, même s'il ne l'utilise que 30 minutes par an. Et le système tourne à coup de publicité massive. Dans les deux cas, il faut produire le plus possible pour que le système économique fonctionne. L'économie collaborative est une troisième voie, qui tourne autour de l'Homo cooperans, l'humain qui collabore. Ici, celui qui a une foreuse la met à disposition et c'est la communauté qui participé à son coût. Ce système offre ainsi la meilleure allocation possible des ressources, puisque la foreuse produite va fonctionner et non rester dans un placard. »

L'économie collaborative, c'est aussi Uber, AirBnb, des systèmes qui sont accusés de nuire à notre modèle social…

« Oui, c'est vrai. Ces acteurs sont arrivés il y a moins de dix ans sur le marché, mais ils pèsent déjà des milliards d'euros et jouissent d'une position de quasi monopole au niveau mondial. Et pourtant, leur matière première, c'est nos échanges. C'est uniquement là-dessus qu'ils réalisent leurs profits. Si nous voulons résoudre les crises auxquelles nous sommes confrontés, nous devons nous réapproprier ce modèle. Des chauffeurs de taxis dans différentes villes y pensent, avec l'idée de lancer leur propre application sous forme de coopérative. Cela éviterait qu'une grande société ne capte une part de la richesse qu'ils créent. C'est nécessaire, car l'objectif des grandes plateformes comme Uber ou AirBnb, même si elles légalisent leur situation, reste de faire du profit. Il est primordial aujourd'hui de trancher : voulons-nous permettre à certains de réaliser des profits ou de rendre des services accessibles au plus grand nombre ? C'est un choix de société qu'il faut faire.»

N'est ce pas difficile de se réapproprier ce modèle ?

« Face à ces nouveaux géants, rien ne sera facile. Mais vraiment pas impossible. Au XIXe siècle, des ouvriers se sont réapproprié la production de certains produits en lançant des coopératives. A l'époque c'était un peu compliqué, car il fallait des capitaux pour mettre au point l'outil de production. Mais dans le cas de l'échange de services avec l'économie collaborative, c'est bien plus facile. Théoriquement, il faut simplement développer une application, ce qui ne nécessite que des investissements modérés. Cela ouvre la porte à de nouvelles possibilités, bénéfiques pour le plus grand nombre. Malgré toutes les crises, le changement de paradigme actuel va nous offrir de plus en plus de solutions. »

Pour en savoir plus :

« Homo cooperans 2.0 », Matthieu Lietaert, Couleur livres.