Lucky Luke revu, corrigé et... tué ?

par
Nicolas
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Lucky Luke a 70 ans. Après avoir eu les honneurs d'une grande rétrospective à Angoulême, le cow-boy solitaire de Morris est ici repris en main par Matthieu Bonhomme. Le temps d'un one-shot coup de poing qui révèle l'humanité d'un héros de papier.

Ph. Dargaud

Pourquoi s'attaquer à une telle légende de la BD ?

«Premièrement, si je me suis lancé dans Lucky Luke, c'est parce que c'est vraiment une BD fondatrice pour moi. Deuxièmement, j'affectionne énormément le western et Lucky Luke m'a permis d'en faire. Les histoires de la BD franco-belge et du cinéma de western sont étroitement liées. Lucky Luke est un vrai personnage de western à l'image de John Wayne. Il est l'apanage des grands acteurs du genre.»

Lucky Luke a permis à Morris de poursuivre son rêve américain, a-t-il fondé le vôtre ?

«Tout à fait. Parmi les auteurs qui ont été importants pour moi, beaucoup étaient des auteurs de western: Jijé, Giraud, Derib, Hermann, Rossi. Tous ces gens étaient des héritiers. En appréciant leur dessin, j'ai aussi apprécié le cinéma. Et depuis quelques années, je lis pas mal de romans de western, comme celui de Pete Dexter qui a donné naissance à la série ‘Deadwood'.»

Comment vous est venue l'idée de tuer la légende dès la première planche (voir illustration) ?

«Des notes rassemblées en préparant cet album, une des phrases que j'ai retenues était : ‘Lucky Luke est mort quand il a arrêté de fumer'. Ce fut alors mon point de départ que je trouvais assez percutant. C'est une accroche un peu racoleuse mais assez intéressante pour la première page. Ensuite je procède à un long flashback.»

Sans tout dévoiler de l'intrigue, vous mettez le cow-boy solitaire dans de vraies difficultés...

«Le sort s'acharne vraiment sur lui. Ne pas fumer le fait trembler, son arme a disparu. Au moment où le duel commence, je voulais que l'on se dise: ‘C'est peut-être le dernier moment de notre cow-boy'.»

Selon vous, quel héros est Lucky Luke ?

«Pour moi, malgré l'apparente distance que ce personnage peut avoir par rapport à son environnement, je le trouve profondément humain. Il est animé de justice mais il a aussi de la tendresse et de l'émotion. Notamment dans les albums où il noue de profondes amitiés, il s'y révèle énormément. En tant que lecteur, j'y ai trouvé davantage qu'un personnage archétypal. Il devenait un vrai humain. Dans cette histoire, j'ai voulu me centrer sur le personnage et sur son fond d'humanité.»

Pour en faire un humain, vous deviez donc tuer la légende ?

«En tout cas, je joue avec elle. C'est pourquoi dans la scène de son arrivée en ville, tout le monde a peur de lui. C'est une vedette dont on scrute le moindre mouvement. C'est vraiment une star avec la légende du cow-boy qui dégaine vite. C'est d'ailleurs la réputation qui le précède, malgré lui, qui va ici lui causer des soucis.»

Auriez-vous pu vous attaquer à Lucky Luke sans avoir réalisé «Texas Cowboys» avec Lewis Trondheim ?

«Je ne pense pas. Comme j'ai appris à dessiner en faisant du western, je ne voulais pas que les lecteurs me voient comme un sous-Giraud. J'avais un genre tellement balisé par des maîtres, que je ne me sentais pas à la hauteur. J'ai fait mes armes sur d'autres univers, mais toujours avec une référence au western. Ce n'est pas pour rien qu'Esteban est un indien. Le vrai retour au western, je le dois cependant à Lewis qui est arrivé décomplexé sur le genre, avec désinvolture, mais avec une vraie envie de raconter une histoire. Et c'est cela qui m'a mis en confiance. Avec Lucky Luke, mon défi supplémentaire était mon premier scénario de western.»

Nicolas Naizy

En quelques lignes

On connaissait l'affection de Matthieu Bonhomme pour les récits d'aventure et les grands espaces. Sa revisite de Lucky Luke lui permet, on l'aura compris, de satisfaire de profondes envies de western soutenues par un réel amour du personnage de Morris. Dans cette histoire où le héros apparaît comme indésirable dans une ville dirigée par une fratrie intransigeante, le cow-boy solitaire (un adjectif auquel tient beaucoup l'auteur, cf. p. 27) voit sa réputation lui jouer des tours au risque de l'envoyer six pieds sous terre. Mais laissons le suspense aux lecteurs. Après son attachante série «Esteban» et son très pop «Texas Cowboys», Bonhomme ose -et c'est tant mieux- s'approprier le héros ultime avec un sublime travail graphique aux couleurs affirmées et un scénario d'une humanité attachante, rendant à Luke une épaisseur rarement atteinte.

«L'homme qui tua Lucky Luke», de Matthieu Bonhomme, éditions Lucky Comics, 64 pages, 14,99 € *****