Lionel Duroy sur les traces de sa mère

Reconnu en tant que biographe de célébrités, Lionel Duroy n'en oublie pas pour autant d'explorer sa propre vie dans ses écrits. Avec plus d'une douzaine de romans à son actif, il aborde, une fois de plus, son tumultueux passé. Dans «L'absente», il lève, enfin, le voile sur la femme qu'était sa mère.
par
Laura
Temps de lecture 4 min.

Après «Priez pour nous» et «Le chagrin», vous aviez encore des démons à exorciser pour que vous en veniez à écrire «L'absente»?

Lionel Duroy: «En fait, je n'ai pas compris tout de suite ce que j'allais écrire comme livre. J'ai malheureusement divorcé en 2010-2011. J'ai traversé une année d'angoisse épouvantable en me disant que si j'étais obligé de vendre ma maison, je causerais un chagrin inconsolable à mes enfants. C'était trop violent pour moi cette histoire. Donc j'ai écrit ce qui aurait pu arriver. C'est le début de «L'absente». Dans ma tête, à ce moment-là, j'écris pour la première fois de ma vie une espèce de road movie désespérée. Ça m'intéresse beaucoup d'explorer l'effondrement à l'intérieur de la tête d'un homme.»

Comment en êtes-vous venu à écrire sur votre mère du coup?

«Tout d'un coup je comprends que ce que j'écris est en train de rencontrer ce qui a ruiné la vie de ma mère, notre expulsion. Ce qui allait se rejouer pour moi, si j'avais vendu la maison, c'était exactement ce qui s'est joué pour moi quand j'avais 9 ans. C'est une journée capitale dans ma vie parce qu'en fait, à partir de cette journée, plus jamais je n'ai pu regarder ma mère normalement, elle est devenue un objet de terreur. C'est, drôle, c'est en écrivant le livre de ce qui aurait pu m'arriver que cela m'a tout d'un coup sauté aux yeux. Comme quoi ce livre rejoint quelque chose qui était perdu en moi. C'est en écrivant ‘L'absente' que pour la première fois je me suis mis à pleurer en repensant à l'expulsion.»

Vous réussissez malgré tout à lui donner un semblant d'humanité

«C'est quelque chose qui m'a échappé. Je ne savais pas que je redonnais une humanité à cette femme. Ce n'était pas prévu mais c'est très bien comme ça. J'ai dépassé les 60 balais, j'ai un regard très différent sur elle en fait. J'ai l'impression qu'en écrivant ‘L'absente' je suis devenu presque le père de ma mère. Tout d'un coup j'ai compris dans quel dénuement elle était si petite, 38 ans et déjà neuf enfants. Rien que de dire ça, j'en ai presque les larmes aux yeux. Ça me paraît quand même épouvantable ce jour où elle a compris qu'elle avait tout perdu.»

En écrivant ‘L'absente' je suis devenu presque le père de ma mère

À travers Augustin, vous avez mené une propre enquête sur votre vie?

«Oui. C'est drôle parce que c'est vraiment une enquête cérébrale. Globalement, toutes ces choses-là, au fond je les savais mais c'est en composant le livre comme ça qu'elles ont pris leur place légitime.»

Peut-on considérer qu'il s'agisse d'un roman de réconciliation avec votre mère?

«Je dirais plutôt que c'est un roman où je la reconnais comme une femme et non plus comme une folle. Je la reconnais avec sa douleur, le chagrin de l'effondrement et puis surtout je suis bien plus vieux que l'âge quelle avait l'année quand on a été expulsés. Donc je cesse d'avoir peur de la folle, je regarde ça, maintenant, avec beaucoup plus de recul, de sagesse.»

Vous vous sentez mieux aujourd'hui après avoir compris tout ça?

«Oui je suis content, j'aime beaucoup ce livre. Je suis content que bien qu'étant un livre sur ma mère ça demeure un livre très joyeux et très déjanté. Comme elle était très bourgeoise, très dans le paraître avant l'expulsion, ça m'amuse que finalement ce livre permette de la faire revivre dans un théâtre de cingleries. Ça lui donne une autre identité.»

Y a-t-il encore des choses à puiser dans votre univers familial sur lesquels vous souhaiteriez écrire?

«Oui, ce n'est jamais fini. J'écris toujours sur ma vie privée pour parvenir à dire quelque chose de la vie en général.»

En quelques lignes

Augustin n'a plus le choix, il doit affronter la réalité. Maintenant le divorce prononcé, la maison n'est plus à lui. Mais que faire, où aller? Il n'en a aucune idée. L'écrivain prend alors la route à la recherche d'un endroit où recommencer une nouvelle vie et accueillir ses filles. Un moment d'errance et de souffrance face à cette perte qui ne sera pas sans lui rappeler l'expulsion de sa famille et la détresse dans laquelle est tombée sa mère. Un moment traumatisant qui va l'amener à écrire sur cette femme, cette folle comme il la considère, en partant sur les traces de son passé. Après «Priez pour nous» et «Le chagrin», Lionel Duroy nous transporte, une fois de plus, à travers son histoire familiale en tentant de comprendre celle qu'il a tant détestée. Un voyage poignant dans l'intimité d'une enfance qui le marquera à jamais. (ls)

«L'Absente», Lionel Duroy, éditions Julliard, 360 pages, 19,50€