"Le Christ obèse": la révolution tranquille de Larry Tremblay

par
Nicolas
Temps de lecture 4 min.

Au retour d'une visite sur la tombe de sa mère, Edgar recueille la victime d'une agression à la sortie du cimetière. Cette intrusion dans sa vie va réveiller des souvenirs douloureux. "Le Christ obèse" de l'auteur québécois Larry Tremblay commence comme un suspense mais finit comme une profonde introspection où religion, culpabilité et poids du passé se confondent.

Est-ce qu'Edgar, votre protagoniste, est un homme perdu ?

"C'est quelqu'un de profondément blessé et qui a peu de sociabilité. En fait, il vit seul et je crois que son problème vient de son rapport avec sa mère et de son rapport au corps. Son statut va changer lorsqu'il sauve au cimetière cette personne attaquée par quatre autres. Il devient un sauveur. C'est de cette situation que j'ai tiré tous les fils en faisant des découvertes à chaque chapitre. C'est un huis-clos avec très peu de personnages. La maison devient la figure de la mère. Il y a une certaine ressemblance avec ‘Psychose'."

"Le Christ obèse", mais obèse de quoi ?

"C'est comme un cas extrême. Ici, c'est une solitude extrême. Le Christ est souvent représenté squelettique, torturé, émacié. S'il avait été enfanté joufflu, je ne crois pas que la religion chrétienne aurait eu cet impact. Presque toute la religion est basée sur la souffrance et culpabilité. Je suis né catholique au Québec et j'ai subi cette culpabilité. C'est sur ce sentiment que j'ai écrit. Comme cette mère qui se sent coupable, prête à tuer son enfant. La culpabilité se transmet finalement de génération en génération."

L'ombre du père absent est prédominante, comme avec le Christ…

"Absolument, la naissance d'Edgar a provoqué la mort du père, tout est donc ‘tricoté serré' comme on dit au Québec. C'est très intriqué, et difficile à détricoter."

Est-ce que l'influence catholique est encore aussi forte dans le Québec d'aujourd'hui ?

"Non. Nous avons eu au Québec dans les années 60-70, ce qu'on a appelé la Révolution tranquille. La société québécoise a mis de côté le catholicisme. Le sentiment religieux perdure mais le rapport à la prêtrise et à l'institution n'est plus le même. Moi j'ai connu cette période."

Est-ce que ce livre vous a aidé dans votre parcours spirituel ?

"Oui, ce livre m'a aidé beaucoup. Écrire m'a permis de réfléchir sur l'importance de la culpabilité dans la religion. On est toujours amené à souffrir dans la vie, mais pourquoi baser une religion là-dessus? Pourquoi la souffrance du Christ est-elle plus importante que la vôtre ? C'est ce que j'avais appris étant enfant. Comme Edgar, je me suis révolté contre cette histoire des

Saints Innocents (épisode biblique lorsque, peu après la naissance du Christ, le roi Hérode ordonne la mise à mort de tous les bébés de moins de 2 ans, ndlr.). En quoi la mort de ces enfants valait bien la mort de Jésus ?"

La structure du livre fonctionne de manière sensorielle, avec des chapitres courts intitulés du nom d'un objet qui évoque chez le narrateur un souvenir. Est-ce là une méthode de dramaturge et de metteur en scène qui construit son décor ?

"Au départ, le roman était deux fois plus long et sans chapitre. Presque comme une seule phrase interminable. J'ai dû utiliser des compétences de metteur en scène pour le fracturer

et permuter des passages. J'ai ainsi créé un chemin pour lecteur en installant un rythme. Ces petits titres m'ont permis moi-même de comprendre le chemin de mon personnage."

Edgar recueille la victime d'une agression, mais son genre évolue au fil du récit. Pourquoi ?

"C'est une question de quête identitaire. J'appelle ça la fusion-confusion qui participe au renversement des rôles de bourreau et de victime. Je ne cherche pas trop à l'expliquer car je veux surprendre et permettre au lecteur de s'interroger."

On a presque l'impression que vous avez dessiné la pièce où se déroule l'essentiel du roman…

"C'est en effet assez visuel. Mon métier de metteur en scène m'a aidé à écrire ce roman. Non pas en termes de dialogues, puisque c'est à une seule voix, mais dans sa structure et sa scénographie."

Le suspense vient également du point de vue du personnage, puisqu'on découvre en même temps que lui ces révélations sur lui et sur la personne allongée chez lui.

"Je n'ai pas voulu tomber dans le piège d'une trame chronologique. C'est un roman en zigzag."

Nicolas Naizy

En quelques lignes

 

Qui est cette personne allongée sur le lit d'Edgar ? Une femme ? Un homme ? Pourquoi cette agression ? Chaque objet qu'Edgar touche ou voit dans cette chambre réveille en lui des souvenirs douloureux et des épisodes de sa vie qui l'ont bloqué, restreint dans sa vie sociale, etc. C'est un roman à l'atmosphère étrange, presque surréaliste, qu'a écrit Larry Tremblay. Sous des airs de thriller en huis-clos, l'auteur québécois résout ses questionnements profonds, ceux d'un Québec profondément catholique, qui panse ses blessures, les cicatrise peu à peu. Avec une écriture très sensorielle et visuelle -c'est le dramaturge qu'on retrouve ici-, il parvient à distiller mystère et émotion dans cette histoire  d'homme qui se révèle à lui-même.

"Le Christ obèse", de Larry Tremblay, éditions Onlit, 176 pages, 14 € (6,99 € en version numérique)

4/5