Kate Winslet dans 'Steve Jobs': "Je voulais disparaître derrière ce rôle"

par
Laura
Temps de lecture 5 min.

On ne présente plus Kate Winslet: depuis son fameux rôle dans un film très connu avec un bateau qui coule, sa filmographie quasiment irréprochable («Quills», «The Reader», «Eternal Sunshine»,…) a fait d'elle une des actrices les plus récompensées -et les mieux payées- de Hollywood. Pas étonnant donc que sa prestation dans le puissant «Steve Jobs» de Danny Boyle, où elle incarne l'assistante du fondateur d'Apple et pour laquelle elle a travaillé d'arrache-pied, lui ait rapporté un Golden Globe… et une nomination supplémentaire à l'Oscar de la meilleure actrice.

Qu'est-ce qui vous a donné envie de ce rôle?

«Qui ne voudrait pas d'un tel rôle? Déjà, c'est un rôle de rêve parce qu'il est difficile, donc stimulant. Mais en plus, c'est un scénario de rêve! Des dialogues signés Aaron Sorkin, une mise en scène de Danny Boyle, Michael Fassbender dans le premier rôle… À la limite je me fichais du sujet du film: je voulais juste être dans la même pièce que ces gens! Et dès les répétitions, c'était incroyable. Ça fait partie des moments les plus forts de toute ma carrière

Vous ne ressemblez pas à Joanna. Était-ce difficile de convaincre Danny Boyle?

«Quand on s'est rencontrés, je lui ai dit cash: ‘Écoute, je sais que je ne lui ressemble pas du tout, mais je ne ressemblais pas non plus à Hanna Schmitz (son rôle dans ‘The Reader', pour lequel elle a reçu l'Oscar, ndlr).' Je lui ai expliqué que l'important pour moi c'était de disparaître derrière ce rôle. Jouer la comédie, c'est le trucage ultime, c'est réussir à convaincre le public que vous êtes vraiment quelqu'un d'autre, et c'est ce que je voulais. Après tout, c'est mon job!»

Comment s'est passé votre rencontre avec la vraie Joanna?

«C'est fascinant de l'écouter parler. Je pense que Joanna, pour Steve, représentait la voix de la raison. C'était un ami, elle le voyait comme un être humain, pas comme une machine de guerre. Je lui ai demandé si elle avait peur de lui, et elle a rétorqué: ‘Non, pas du tout, je ne sais pas d'où ça vient. Il était difficile, oui, mais pas effrayant!' Je ne pense pas non plus que j'aurais été intimidée par quelqu'un comme Jobs. Il en faut sous le capot pour gérer quelqu'un comme lui, car il pouvait en effet être intimidant, mais c'était aussi un homme formidable. Elle m'a raconté des histoires très touchantes sur lui

C'était important de réussir à parfaire l'accent de Joanna?

«Oui! Mais c'était vraiment difficile, parce qu'elle est née en Pologne, elle a grandi en Arménie mais ses parents parlaient russe, puis elle est arrivée seule aux États-Unis à l'adolescence. Donc son accent était un mélange de russe, polonais, arménien… avec des intonations américaines. Et ça me rendait dingue! J'ai travaillé avec un coach, et quand je sentais que je n'y arrivais pas je sautais dans tous les sens en jurant (rires)!»

Savez-vous ce que Joanna a pensé du film?

«Elle m'a envoyé un mail en disant qu'elle aimait beaucoup le film, et elle a conclu avec: ‘Dis à Michael Fassbender que c'était vraiment magnifique d'avoir un aperçu du vrai Steve, et de sa chaleur.' J'ai trouvé ça très cool

Au départ, la famille de Steve Jobs s'est opposée au film. Qu'en pensez-vous? Dans les films inspirés de faits réels, c'est toujours délicat de dissocier la vérité de la fiction…

«J'ai fait beaucoup d'interviews avec Aaron Sorkin, et les gens lui posaient toujours ce genre de question, donc je peux vous dire exactement ce qu'il répond: ‘Avant que je sache ce que je voulais faire, je savais ce que je ne voulais pas faire, et je savais que je ne voulais pas un biopic.' Ce film est librement inspiré de la biographie que Walter Isaacson a écrite sur Steve Jobs à la demande expresse de Steve Jobs et de sa femme Laurene. Après, je comprends que certaines choses dans le livre aient posé problème à Laurene: je suis sûre que ce serait difficile pour moi aussi si des gens écrivaient sur ma famille sans que j'aie mon mot à dire. Mais elle n'a pas vu le film, elle ne le verra probablement jamais, et personne ne l'y oblige. Aaron a souvent dit que beaucoup de choses viennent de son imagination. Par exemple, Joanna n'a travaillé que cinq ans pour Steve, pas 14 comme dans le film. Et John Scully (PDG d'Apple, ndlr) et Steve ne se sont jamais revus après que Steve s'est fait virer d'Apple. Aaron a inventé cette scène de réconciliation, presque comme un cadeau pour John Scully, parce que le personnage dit des choses qu'il aurait peut-être souhaité lui dire. Donc oui, c'est basé sur des faits réels, mais il y a aussi de la fiction pure. C'est une interprétation d'un auteur à partir de choses réelles.»

Avez-vous un ordinateur Apple?

«Non, je n'ai jamais eu d'ordinateur. Je n'en ai pas besoin. Mais j'ai un iPhone!»

En quelques lignes

Attention, ceci n'est pas un biopic. A l'instar du très beau ‘Saint Laurent' de Bertrand Bonello qui souffrit de la comparaison avec ‘Yves Saint Laurent' de Jalil Lespert, ‘Steve Jobs' de Danny Boyle (‘Slumdog Millionnaire') est à mille lieues de ‘Jobs', le biopic tiède porté par Ashton Kutcher. Il faut dire qu'aux manettes du scénario, il n'y a pas n'importe qui. Oscarisé pour ‘The Social Network' (qui, rappelons-le, n'était pas un biopic sur Mark Zuckerberg) et auteur chevronné de films et séries (‘The Newsroom', ‘Des Hommes d'honneur'), Aaron Sorkin s'est inspiré de la biographie du fondateur d'Apple pour signer un scénario atypique et – comme à son habitude – aussi bavard que bien écrit. Concentré autour de trois moments cruciaux de sa vie (le lancement du Macintosh 128K en 1984, du NeXt en 1988 et de l'iMac en 1998), Sorkin a imaginé les discussions qu'aurait pu avoir Jobs quelques minutes avant d'entrer en scène. Allant de sa collaboratrice Joanna (Winslet) à son vieil ami Steve Wozniak (Seth Rogen) en passant le PDG d'Apple John Scully (Jeff Daniels) ou sa fille Lisa (dont il a longtemps nié la paternité), les dialogues ciselés éclairent le passé tumultueux et le caractère bien trempé de cet homme controversé. Pas besoin d'être un féru de la marque à la pomme pour être happé par les performances de ce film au rythme (très) soutenu, qui emprunte au huis-clos et au théâtre, et dans lequel on sent davantage la présence du scénariste que du cinéaste ; il suffit d'être féru de bon cinéma d'auteur.

4/5