Jodie Foster: «George n'avait même pas le temps de faire des blagues»

par
Laura
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Jodie Foster avait à peine 14 ans quand elle a décroché sa première nomination aux Oscars pour son rôle dans «Taxi Driver». Aujourd'hui, à 53 ans, nous la voyons de moins en moins jouer, elle qui préfère désormais réaliser. Pour son quatrième film, «Money Monster», un thriller haletant sur les conséquences désastreuses du capitalisme sauvage, elle a pu compter sur deux des plus grandes stars du monde: Julia Roberts et George Clooney. Et c'est surtout ce dernier qu'elle a fait souffrir.

George Clooney joue dans le film un présentateur de la télé qui est pris en otage par Jack O'Connell. Mais vous le teniez aussi plus ou moins prisonnier sur le plateau, car il joue dans presque toutes les scènes.

"Oui, cela n'a pas été facile pour George. Il avait beaucoup de dialogues, beaucoup d'action, et devait en permanence faire plusieurs choses à la fois: courir, regarder telle ou telle caméra, et dire son texte en même temps. Il avait donc beaucoup de choses à penser. À tel point même qu'il a oublié de faire honneur à sa réputation de farceur. (rires) Normalement, il fait régulièrement des blagues à ses collègues sur le plateau, mais cette fois il n'a tout simplement pas eu de temps pour ça."

Cela n'a pas dû être facile pour vous non plus: vous n'aviez encore jamais tourné un thriller auparavant, et ce film se passe de surcroît en temps réel.

"En effet. Chaque minute dans le film correspond à une minute dans la réalité. Et puis, il y a aussi cinq lignes narratives qui se passent en même temps. Les réunir toutes, était un énorme défi. Je peux vous dire que cela a été le film le plus difficile sur lequel j'ai jamais travaillé. Et c'était d'ailleurs le cas aussi pour les techniciens sur le tournage -des gens qui ont pourtant des tonnes expérience avec des films de Martin Scorsese, Oliver Stone, etc."

Le preneur d'otages Kyle est un homme tout à fait ordinaire qui a perdu ses économies à cause d'un conseil d'investissement douteux du présentateur télé Lee Gates. Maintenant, il exige que quelqu'un vienne lui expliquer où est parti son argent. Représente-t-il la colère que nous avons tous ressentie après la crise économique de 2008?

"Kyle est à la recherche de réponses. Mais il ne reçoit que de vagues explications comme quoi il y a eu un ‘couac' dans ‘l'algorithme'. Nous avons tous vécu cela en effet à l'époque de la crise. Pour la plupart d'entre nous, la finance est un mystère, quelque chose que nous ne pourrions jamais comprendre. Et tout est fait pour que cela reste ainsi, pour nous tenir éloignés des vraies réponses et ainsi nous contrôler."

Le film est-il pour vous une critique du capitalisme moderne?

"Pour moi, l'argent n'est pas l'ennemi. C'est une manière d'exprimer ce qui a de la valeur pour nous. Et cela prête parfois à confusion en effet, si nous allons l'appliquer à notre amour-propre. Nous avons tendance à mesurer nos succès et nos échecs en fonction de la quantité de dollars que nous avons sur notre compte en banque. C'est malsain, mais le problème, ce n'est pas l'argent en tant que tel, qui est seulement le moyen. Le film ne vise donc pas le capitalisme. Le monde de la finance n'est pas un ‘evil empire'. Au contraire, des gens ont fabriqué ce monde pour créer des emplois et du progrès. Ou pensez aux emprunts à crédit: ils sont maintenant considérés comme la source de tous les maux, mais c'est tout de même un des plus beaux systèmes du monde. Grâce aux emprunts, les gens peuvent profiter d'une qualité de vie qu'ils n'auraient jamais pu avoir sinon. Payer des études à leur enfant, ou construire une maison dans laquelle ils peuvent vivre jusqu'à la fin de leurs jours. Seulement, certaines personnes ont énormément abusé de ce magnifique système, et c'est là où est le problème."

Vous êtes toujours une des rares femmes à réaliser des films à Hollywood. Est-ce que l'on peut espérer que les choses s'améliorent?

"Je le pense, oui. Beaucoup de choses ont déjà changé, mais cela ne va pas assez vite. Surtout en ce qui concerne les films hollywoodiens mainstream: il est rare que l'on en confie la réalisation à des femmes. Il y a déjà, en revanche, beaucoup de femmes productrices, scénaristes, actrices et techniciennes. Quand j'étais petite, je ne voyais presque jamais de femmes sur les plateaux de tournage, j'étais toujours entourée d'hommes. Ça, c'est donc en tous les cas une amélioration. Mais nous avons besoin de plus de femmes réalisatrices. C'est selon moi le dernier bastion qui doit être changé pour créer plus de diversité à Hollywood. C'est la raison pour laquelle j'espère que mon film rapportera beaucoup d'argent: ainsi les studios se rendront compte qu'il n'y a pas de risque énorme à laisser une femme réaliser un film. Cette prise de conscience se fait petit à petit."

La dernière fois que nous vous avons vu à l'écran, c'était en 2013. Voulez-vous vous consacrer totalement à votre carrière de réalisatrice désormais?

"Je me focalise en effet surtout sur la réalisation, maintenant. C'est une vraie obsession pour moi, et cela correspond parfaitement à mon caractère. Je suis une personne extrêmement concentrée: je me fixe sur quelque chose, et c'est alors toute ma vie pendant un temps. Je ne peux plus penser à rien d'autre. Mais je ne vais jamais arrêter de jouer. Je joue la comédie depuis l'âge de trois ans, et cela reste un exutoire incomparable. J'apprécie énormément tout ce qui se passe entre ‘Action' et ‘Coupez'. Le reste -tout ce cirque de la célébrité-ne me manque pas du tout. Mais je continue de jouer, je vais m'y remettre prochainement."

En quelques lignes

La crise économique. Qu'en savons-nous réellement? Les banques ont fait faillite, l'argent est parti en fumée. Mais où est-il passé? “Payer, sans poser de questions”: nous en sommes tous réduits à cela. Ce même sentiment tenaillant d'impuissance est à la base de ‘Money Monster', le nouveau film de Jodie Foster (‘The Beaver'). Le personnage principal, le tourmenté Kyle (un Jack O'Connell imprévisible), a perdu toutes ses économies dans un placement sans risque, selon le présentateur télé Lee Gates (George Clooney). Mais qui s'est finalement avéré catastrophique. En raison d' “un couac dans l'algorithme”. Pour Kyle, ces vagues explications ne suffisent pas: il fait irruption dans le studio de télévision et braque une arme sur Lee, en direct à l'antenne. Maintenant, ils vont devoir lui donner de vraies explications. Foster prend clairement position – elle se sert d'une fiction pour faire ce que nous voudrions tous faire: contraindre le monde de la finance de nous donner de vraies réponses. Les médias aussi sont visés: Lee et sa productrice (Julia Roberts) sont des marionnettes des entreprises, mais sont maintenant obligés tout d'un coup de faire du journalisme critique. Regardez ça, un film hollywoodien qui a un vrai sujet! Et qui divertit aussi: Foster raconte toute l'histoire en temps réel. Le rythme est soutenu et le suspense est bien au rendez-vous. Clooney en fait beaucoup dans son personnage de showman et son volte-face moral fait un peu hollywoodien. Mais pas de happy end pour autant. Jodie Foster est trop intelligente pour ça.

(lt)