Fantasio se marie, Spirou emménage avec Seccotine

Coup de tonnerre dans le monde du 9e art ! Fantasio va se marier. C'est Benoît Féroumont qui convie à la noce. Metro l'a interrogé sur cette incursion féminine au sein d'un des duos masculins les plus célèbres de la BD franco-belge.
par
Nicolas
Temps de lecture 2 min.

Dans ce one-shot, on ressent votre envie d'avoir voulu mettre Spirou et Fantasio dans un univers féminin...

«Surtout Spirou ! Je le vois comme un héros classique -comme Superman, Frodon, Katnyss-, une sorte de boy-scout des années 60, maladroit avec les filles. Il ne m'avait pas l'air à l'aise dans notre époque. Or ce qui montre l'évolution de notre époque, c'est la place qu'occupent les femmes aujourd'hui par rapport aux sixties. Je voulais ainsi mettre ce personnage dans la modernité.»

Les femmes, mal représentées dans la BD classique ?

«Elle sont souvent caricaturées. Du moins, il n'y a pas de femme ‘normale', indépendante financièrement, pas forcément dans un désir de séduction.»

Les noces nous avaient été annoncées par un délicieux faire-part.

Du coup, pour que Spirou soit confronté aux femmes, vous mariez Fantasio...

«Je me débarrasse de Fantasio. Je voulais quelqu'un à sa place aux côtés de Spirou. Je prends alors Seccotine, le seul personnage féminin à disposition dans l'univers de Spirou. Je la présente comme étant à l'affût d'un pas de côté de Fantasio pour prendre part à l'aventure aux côtés de Spirou. Et comme Fantasio a souvent eu cette image de dragueur, il fallait bien qu'un jour, une fille succombe à ce gars-là.»

Mais vous ne faites pas s'embrasser Spirou et Seccotine comme l'avaient fait Tome et Janry dans «Machine qui rêve».

«Mais je ne voulais pas d'une histoire d'amour. Je m'en fiche complètement. Pour moi, Spirou est avant tout un aventurier. Il a choisi d'être disponible pour l'aventure. Fort de cette réflexion, j'ai inventé tout un background pour Spirou. Pourquoi choisit-on d'aider les autres? Pourquoi choisit-on de ne pas avoir de vie amoureuse ou familiale? Je pensais plus à une colocation. Quand Seccotine s'installe chez Spirou, ils se considèrent comme colocataires et amis.»

Pourquoi imaginer une intrigue dans le milieu de la mode? Là aussi, Spirou apparaît comme un éléphant dans un magasin de porcelaine.

«J'avais fait quelques illustrations pour le projet Fluide.G, sorte de Fluide Glacial féminin. Et j'avais dessiné Anna Wintour. J'avais adoré cet univers et je voyais comment Spirou allait évoluer en son sein.»

En fait, vous faites de Spirou un être sexué. Dans «Gisèle et Béatrice», vous vous attaquiez de front au machisme. Pourquoi en avoir fait des rapports-hommes-femmes un sujet récurrent de vos histoires ?

«Je pense que c'est un hasard. Je ne sais pas. J'ai envie de rencontrer des nanas, elles m'intéressent. Pourtant je n'ai pas été frustré (rires) : j'ai une sœur, j'ai une mère plutôt féministe. Je ne sais pas d'où ça vient ! Mon éditeur Serge Honorez me dit que je suis comme un rockeur: selon lui, je ferais de la BD pour être entouré de femmes! Ça m'amuse de raconter des histoires de nanas. J'aime essayer de comprendre comment elles fonctionnent. Je me souviens d'une tirade Bernard Menez dans ‘La Nuit américaine' de Truffaut: ‘Les femmes, c'est magique'. Ce mystère, j'ai envie de le comprendre. Plus je l'explore, plus je me dis qu'il ya une injustice à ce qu'elles ne soient pas traitéesà l'égal. Le retour d'un certain machisme relève d'un archaïsme. Et l'archaïsme, ça me fait peur!»

Autre audace dans votre album, vous donnez une vraie famille à Spirou : un père, une mère,... Pourquoi avoir franchi ce pas ?

«J'ai d'abord demandé à mon éditeur Benoît Fripiat, si c'était possible. Ce qui l'intéressait, c'est l'émotion. Tout d'un coup, on a un personnage qui prend une densité énorme.»

Aimez-vous cette tendance à contextualiser les héros, revenir sur leur passé ?

«Oui, j'adore Batman par exemple. Depuis qu'il existe, je pense qu'on a raconté plusieurs fois la même histoire, mais de manières différentes, notamment la mort de ses parents. Comme lecteur et spectateur, j'aime bien qu'on m'explique pourquoi les gens sont en mouvement. Avec Spirou, je suis parti de la figure héroïque, de ce personnage bondissant et sympathique, et je lui ai donné des motivations.»

Spirou est un personnage qui est passé entre les mains de nombreux dessinateurs, mais votre hommage à Franquin est flagrant...

«J'ai même repris des cases de Franquin. Il est vrai que les références graphiques sont fortes. En général, on cite Franquin, Tome & Janry et Émile Bravo. Moi, je n'étais pas du tout décomplexé, j'y suis allé la fleur au fusil. J'ai très vite trouvé mon Spirou. Mais c'est un peu la quadrature du siècle puisqu'il faut respecter les anciens et garder son style.»

 Nicolas Naizy

EN QUELQUES LIGNES

Mais que fait Spirou dans les coulisses d'un défilé de mode? Tout d'abord, il y est invité par le future belle-mère de son compagnon d'aventures de toujours. Car oui, Fantasio se marie ! Ensuite, il enquête avec sa nouvelle coéquipière, la pétillante Seccotine, sur le cambriolage d'un collier qui suscite bien des convoitises. Dans cet album hors-série, Benoît Féroumont s'est amusé comme un petit fou à placer l'emblématique personnage que les éditions Dupuis lui ont confié dans un univers entièrement féminin. Et on rit de voir celui qui n'avait peur de rien se sentir mal à l'aise au milieu des femmes, comme s'il préférait être en danger dans une jungle hostile. L'auteur du «Royaume» s'inscrit dans deux tendances culturelles actuelles. Aujourd'hui, quand on revisite un mythe, il faut le sexualiser ou du moins l'éloigner du carcan de boy-scout qu'imposait l'époque. De là naît le rire. Ensuite, le top est de situer le héros dans un présent et un passé. Celui qu'on ne connaît que le temps d'une aventure de 48 pages se voit ainsi doté d'une vie et d'une psychologie plus complexes. Et là surgit l'empathie. Féroumont remplit parfaitement le double contrat en titillant Spirou et Fantasio dans leur duo de mâles, avec une ligne claire dynamique et sautillante. Car ici aussi l'aventure les attend au bout du catwalk. On en redemande !

(nn)

«Fantasio se marie», de Benoît Féroumont, éditions Dupuis, 68 pages, 14,50 € ****