Brie Larson, Oscar de la meilleure actrice: «J'ai rencontré un spécialiste des traumatismes»

par
Laura
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Elle y était en effet, et elle ne l'aura pas volé, son Oscar! Depuis la rentrée, les rumeurs allaient déjà bon train, et elles se sont confirmées ce dimanche à Hollywood: Brie Larson, jeune comédienne du circuit indépendant, est époustouflante dans ‘Room', un huis-clos âpre et intense, qui mêle captivité et maternité. Chez Metro, on avait d'ailleurs été la rencontrer en octobre dernier, car on avait bien senti que 2016 allait être son année…

Dans ‘Room', vous incarnez une fille enfermée depuis sept ans par son kidnappeur. Cela a dû nécessiter beaucoup de préparation, physique et psychologique, n'est-ce pas?

Brie Larson: «Oui, beaucoup d'aspects de ce film sont très difficiles à intégrer, mentalement parlant. Notamment le fait d'être enfermée pendant sept ans. Si le film commençait après une semaine de captivité, je pense qu'on arrive tous à savoir ce que ça doit faire. Mais sept ans… Et en plus, il y a les abus sexuels, la maternité, la malnutrition… Au début, tous ces éléments étaient pour moi autant de partitions différentes à jouer. Donc j'ai eu besoin de prendre du temps pour les intégrer, de sorte à ce qu'au tournage, ça paraisse naturel. Je voulais que ces choses se ressentent d'emblée, jusque dans la plus petite expression de mon visage

Donc vous avez rencontré des spécialistes?

«Oui, j'ai d'abord parlé à un spécialiste des traumatismes, pour comprendre comment le cerveau arrive à se protéger dans ce genre de situation… et une des choses les plus intéressantes que j'ai apprises, c'est que, parce que dans ‘Room', Ma est en état de survie, elle ne ressent pas tous les symptômes du traumatisme. Car pour la préserver, son cerveau ‘éteint' certaines parties de la conscience (en médecine, il s'agit des mécanismes psychotraumatiques: le cerveau 'court-circuite' le circuit émotionnel pour éviter un survoltage de stress qui pourrait être fatal, ndlr). J'ai aussi parlé à un nutritionniste des conséquences de carence en vitamineD et de nourriture, et j'ai suivi un régime assez strict: pas de glucides, pas de sucre, des très petites portions… J'ai travaillé avec un coach pour gagner du muscle et perdre de la graisse. J'ai évité de m'exposer au soleil, de sortir… surtout les derniers mois, je suis restée beaucoup chez moi. Et le dernier mois avant le tournage, je me suis totalement isolée, juste pour voir ce qui se passait si je restais seule avec moi-même.»

C'était libérateur?

«Oui, j'ai adoré. Je fais de la méditation, et j'aime le silence en général, donc ce n'était pas inconfortable pour moi de passer autant de temps avec moi-même

C'est comment d'avoir un enfant de huit ans comme (quasi) seul partenaire?

«Absolument merveilleux. C'est un gamin très cool, mais c'était aussi un vrai acteur, ce qui m'a étonnée en arrivant sur le plateau d'ailleurs (rires). Mais d'un point de vue technique, à neuf ans, il a vraiment saisi les arcanes du métier. Je me souviens un jour, on avait une scène très difficile, quelque chose comme 16 pages de dialogue, on pensait que ça allait nous prendre 3 jours à tourner, et on a fini en un seul, parce qu'il avait tout mémorisé! Et il comprenait vraiment la différence entre lui et Jack, et pouvait donc improviser pendant les répétitions… il m'a vraiment épatée

Ses parents étaient là?

«Oui, au moins un des deux parents se doit d'être là tous les jours. Ils y allaient chacun son tour, parce qu'ils ont deux autres enfants qui sont aussi de très bons acteurs (rires) (Emma et Erica Tremblay, ndlr)! D'habitude, sa maman était sur le plateau, mais savait rester discrète, elle laissait ‘Room' être cette sorte d'endroit sacré, qui était juste pour Lenny, Jacob et moi. Pour que Jacob puisse se concentrer, qu'il ait l'espace pour rentrer dans le personnage. Parce qu'avoir sa mère sur le plateau ça peut parfois être compliqué – en tout cas je sais que pour moi ça le serait (rires)!»

Depuis les avant-premières aux festivals de Telluride et Toronto, les rumeurs de nomination à l'Oscar de la meilleure actrice vont bon train… il se pourrait que ‘Room' vous ouvre de nouvelles perspectives. Comment vous sentez-vous par rapport à cela (l'interview a eu lieu en octobre, avant que les rumeurs se confirment, ndlr)?

«Je ne ressens encore rien, car il ne s'est encore rien passé (rires)! Je suis encore en pleine promo du film, rien n'a été annoncé, donc tout ceci n'est que spéculation. Mais une spéculation qui m'associe avec la plus grande récompense de ma profession, donc rien que d'en parler, ça me semble incroyable. Enfin, je ne suis pas du genre à me raconter des histoires. Si ça arrive, j'y serai. Mais pour l'instant, je suis ici!»

En quelques lignes

Difficile de sortir indemne de ‘Room'. On y entre en tâtonnant, s'accrochant aux petits détails que Lenny Abrahamson insère dans les premiers plans de son film : une table, un lit. Une seule fenêtre, au plafond. Des objets banals, à première vue. Mais très vite, on devine que quelque chose cloche dans cette petite pièce où Ma et son fils Jack passent tout leur temps. Quelque chose dans le regard fatigué de Ma, dans les cheveux longs du petit Jack. Au fur et à mesure que l'intrigue se dévoile, l'horreur prend tout son sens, et nous aspire avec elle au fond de cette chambre…Et puis, tout bascule.

Adaptée du best-seller éponyme d'Emma Donoghue, l'histoire de Ma évoque les faits divers de Natacha Kampusch ou Joseph Fritzl. Mais loin de s'appesantir sur le sordide, le film se concentre sur l'évolution émotionnelle de ses héros. Porté avec une force extraordinaire par Brie Larson, qui confirme le talent dont elle a déjà fait preuve (‘Short Term 12', ‘The Spectacular Now'), et qui vient de rafler, à juste titre, l'Oscar de la meilleure actrice pour le rôle, ‘Room' est une belle histoire d'émancipation. Et malgré ses dernières notes qui tirent en longueur, elle raconte avec finesse que, même dans le contexte le plus cauchemardesque, la beauté et la vie trouvent leur place. Une leçon d'amour, âpre et foudroyante.

4/5