Arno: "Le rock'n'roll est mort"

par
Laura
Temps de lecture 3 min.

Après 32 albums studio, il devient difficile de ne pas faire deux fois le même disque. Sur «Human Incognito», l'approche et les sonorités organiques donnent de l'air à son melting-pot unique. Et Arno est toujours aussi fort.

Ouvrir son disque par un «I'm Just An Old Motherfucker». Votre esprit semble plus libre que jamais.

"Nous vivons une époque bizarre et cela agit sur ton esprit. Le conservatisme a une érection plus haute que la Tour Eiffel et cela ne me rend pas vraiment heureux. Tu vois, mon père a connu une guerre mondiale, mon grand-père en a même connu deux, et moi je suis d'une génération sans grande guerre. J'avais 18 ans dans les années 60, il n'y avait pas de crise et tout était possible. Le rock'n'roll symbolisait encore une révolte. C'était la première fois que des jeunes avaient créé et construit leur propre culture. Maintenant, nous sommes dans un monde où on peut se demander s'il existe encore une gauche qui ose tirer dans les jambes de la droite. (Rires) Il y a plus de gauche dans un salon de coiffure que dans la gauche elle-même. Je suis en effet un ‘old motherfucker' et je parle souvent comme ça aussi, mais pour moi le rock'n'roll est mort. Tout est beaucoup trop calculé et personne n'ose plus prendre de risques. Moi-même, je me perds souvent dans la nostalgie sans vraiment le vouloir. C'est dû à l'âge en partie, mais j'attends vraiment une nouvelle révolte. Combien de temps les jeunes vont-ils encore accepter tout ça? Il y a trop peu de rébellion."

«Human Incognito» est-il aussi votre journal audio intime?

"Beaucoup de chansons sont en effet le résultat de ce que je vois autour de moi. En fait, quasiment toutes mes chansons proviennent de mon observation des gens. Au fond de moi, je suis un solitaire, mais je ne peux me passer de contacts humains. J'aime donc vraiment les gens. Ils sont ma source inépuisable d'inspiration. Observez, écoutez et laissez décanter un peu. Et vous obtenez ainsi la base d'une chanson basée sur une histoire vraie."

Vous vous surprenez encore après toutes ces années?

"Je ne veux surtout pas tomber dans la répétition et cela m'empêche souvent de dormir. Cela fait déjà 32 albums studio que je fais de mon mieux pour découvrir de nouvelles facettes en moi. En solo, avec TC Matic ou Charles et les Lulus. C'est ça qui fait que ça reste intéressant. C'est toujours une réflexion longue et difficile. Mais une fois que je le sais, ça va très vite. Pour ‘Human Incognito', je voulais un son organique avec moins de synthés et de claviers. L'accent est plus sur les voix, la guitare, la basse et la batterie. John Parish (qui a collaboré avec PJ Harvey et Eels) avec qui j'ai travaillé il y a quatre ans pour ‘Future Vintage', me semblait à nouveau l'homme indiqué pour la fonction de producteur. En studio, il ne nous faut que quelques mots pour nous comprendre, alors qu'en dehors nous pouvons causer pendant des heures des choses les plus diverses."

On ressent comme une urgence dans ce disque, un désir de travailler sans calcul.

"J'ai toujours travaillé de façon très impulsive. Parfois j'en paye le prix, mais je ne connais pas d'autre manière. Ici, tout a été fait en une semaine, comme pour Charles et les Lulus par exemple, y compris le mixage. Il m'est arrivé de passer trois mois dans un studio à Nashville avec piscine et chauffeur personnel ou d'enregistrer avec un orchestre à Abbey Road. Ou de chanter dans pas moins de huit studios pour une seule chanson. À l'époque, tout était possible et les budgets n'étaient pas un problème. Mais cela ne me rendait pas plus heureux. Maintenant, j'arrive plus vite à l'essentiel et tout est gravé de manière beaucoup plus forte dans ma tête avant que je ne commence les enregistrements."

Arno «Human Incognito» (Pias) 4/5