Anne Roumanoff: «L'humour, c'est quelque chose qui aide à supporter la vie»

par
Laura
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Après un passage aux Etats-Unis et avant une longue tournée française, Anne Roumanoff fait une halte en Belgique avec son spectacle «Aimons-nous les uns les autres». Mariage gay, phobie administrative, Front national, l'humoriste reviendra sur les sujets d'actualité qui ont marqué l'année 2015, variant les personnages et les mises en scène sans oublier son fameux«Radio Bistro».

Vous avez présenté votre spectacle «Aimons-nous les uns les autres» juste après les attentats de Charlie Hebdo. Vous aviez déjà choisi ce nom là avant les attaques?

Anne Roumanoff: "Je l'ai choisi en décembre. Forcément, après les attentats il a pris un autre sens. J'avais détecté beaucoup de tensions dans la société française. C'était aussi une manière de dire aux gens ‘on se calme'."

Vous avez modifié le spectacle après les attentats?

A.R.: "J'avais fini d'écrire le spectacle, j'avais déjà répété, testé, rodé et quand les attentats sont arrivés le 7 janvier, et que je devais être à l'Olympia le 2 février, j'ai dû changer plein de choses. Tout d'un coup les mots prenaient un sens différent. De même après les attentats de novembre, il y a des choses qui ont changé."

Vous aviez besoin d'exprimer votre ressenti par rapport à cette situation?

A.R.: "Pour moi l'humour c'est quelque chose qui doit être en prise avec la société. C'est un événement majeur qui fait changer la société, donc il faut l'intégrer."

Vous avez dit dans une précédente interview «On ne peut rire du bonheur».

A.R.: "Oui bien sûr, on fait rire avec les problèmes. Il faut que ce soit quelque chose de vrai, qui fasse souffrir et qu'il y ait une surprise dans la manière de présenter les choses qui rende cela drôle. Mais avec le bonheur, il n'y a pas de sketch, il n'y a pas de comédie, il n'y a pas d'histoire. Si vous dites ‘Ils se marièrent et eurent beaucoup de problèmes', les gens font ‘Ah, quels problèmes, on a envie de savoir'. L'humour, c'est quelque chose qui aide à supporter la vie."

Où trouvez-vous vos idées?

A.R.: "Je m 'imprègne beaucoup de ce qui se passe, je vais sur internet, j'écoute les conversations. Après c'est comme tout travail artistique, il y a des choses qui ressurgissent à un moment. On ne sait pas pourquoi ni sous quelle forme. C'est toujours mystérieux mais ça s'imprègne et puis ça ressort."

Vous parlez aussi de vous dans votre spectacle.

A.R.: "Le but, ce n'est pas du tout de raconter ma vie sur scène. Ce que je cherche dans mon spectacle c'est plus une évasion de la vie. Quand la lumière s'éteint, je deviens quelqu'un d'autre, je suis dans une situation. Chaque sketch est une petite scénette de la vie quotidienne et fait voyager le spectateur à un endroit ou a un problème différent. Il y a une prière de la crise économique, une femme qui veut relancer sa vie sexuelle, un sketch où je fais monter des gens sur scène, c'est vraiment des personnages très différents."

Vous aimez cette variété dans vos sketches?

A.R.: "Oui j'aime beaucoup, ça casse le côté linéaire du spectacle. Les gens me disent qu'ils aiment l'efficacité comique dans mon spectacle parce qu'ils rient beaucoup ainsi que la grande variété des situations et des thèmes traités. Tous les gens se reconnaissent puisque je parle du mariage gay et de thèmes très différents."

Et en l'occurrence, de beaucoup de sujets d'actualité de 2015.

A.R.: "Ce sont des sujets que j'ai identifiés comme étant importants. J'avais envie que ce soit un spectacle qui parle de l'époque, donc il a beaucoup évolué forcément entre le moment de sa création."

Vous imaginez une fable qui traite de politique. Est-ce compliqué de ne pas froisser l'une ou l'autre personne?

A.R.: "Je ne cherche pas à ne pas froisser. Quand on fait de l'humour, si on commence à se dire ‘si je dis ça, je vais faire de la peine à ceux-ci où à ceux-là', on ne dit plus rien. Cela ne me dérange pas de froisser les gens. Après, il y a une différence entre tacler les gens et s'acharner sur telle ou telle personne."

Donc vous vous en prenez un peu à tous les partis?

A.R.: "Oui, j'essaie d'équilibrer entre la droite et la gauche."

Vous n'avez jamais envie de faire passer des messages politiques?

A.R.: "Non. C'est sûr que ce spectacle est un peu engagé contre l'extrême droite, mais ce ne sont quelques minutes. On peut dire quelques trucs au détour d'une phrase, mais j'aime bien que l'humour ait un sens."

Vous reprenez également Radio Bistro dans le spectacle.

A.R.: "C'est un sketch que les gens attendent, donc je finis le spectacle avec ça."

Un an après le lancement, vous portez un regard différent sur votre spectacle?

A.R.: "Il y a une évolution naturelle. Comme j'ai joué six mois dans la même salle, le spectacle s'approfondit, se creuse, il y a des choses qui se rajoutent. Ce n'est pas juste par rapport aux attentats, c'est la maturation normale d'un spectacle qui fait qu'on est meilleur."

Peut-on rire de tout ou vous vous interdisez certaines choses?

A.R.: "Non, je trouve que justement après les attentats de Charlie, j'ai vraiment pris conscience du mot liberté dans ‘liberté, égalité, fraternité'. La liberté d'expression est fondamentale en France et en Europe. On a la chance de vivre dans un pays libre et on a le droit et le devoir d'exercer ce droit. Après, ‘liberté' ne doit pas dire qu'on doit être irresponsable. Je pense que la liberté va de pair avec la responsabilité, ce qu'on raconte, pourquoi on le raconte et ce qu'on veut dire par là."

Vous ne provoquez pas pour autant?

A.R.: "Ce n'est pas mon goût l'humour noir, provocateur mais j'admire les gens qui font ça. Ce n'est pas ma sensibilité mais après je trouve ça formidable qu'il y ait des gens qui le fassent, c'est important."

Anne Roumanoff sera en spectacle à Louvain la Neuve le 11 mars, Namur le 17 mars, Tournai le 18 mars, Bruxelles le 24 mars, Mons le 25 mars