Pourquoi les hommes sont-ils plus riches que les femmes au sein d’un couple?

Nous sommes en 2022. Et si l’on entend souvent parler d’égalité salariale, on est encore loin de l’égalité économique entre hommes et femmes. Pire même: pendant la vie conjugale, les hommes s’enrichissent tandis que les femmes… s’appauvrissent. Comment mettre fin à cette injustice? Et comment gérer son argent quand on est en couple? On en parle avec la journaliste et essayiste Titiou Lecoq, à l’occasion de la sortie de son dernier livre «Le couple et l’argent».

par
O.R.
Temps de lecture 6 min.

L’argent dans le couple, c’est souvent un impensé. Le couple s’installe, prend ses habitudes (en ce compris financières) et cela perdure sans être discuté, ni évalué. «On est très nombreuses à ne pas avoir questionné du tout ce sujet-là avant. Avec mes amis, je me suis rendu compte qu’on s’était raconté nos vies sexuelles, mais jamais parlé de nos comptes communs!», nous lance Titiou Lecoq.

Quand il s’agit d’argent, on reproduit les schémas que l’on a toujours observés autour de soi. Ou on prendra des décisions en pensant qu’elles vont assurer notre indépendance financière… mais en se plantant totalement. «Au départ, je ne voulais pas de compte commun. Je payais les choses dont je m’occupais: la crèche, les courses… Sauf que c’était une répartition qui n’allait pas du tout. Je payais beaucoup plus de choses parce que je travaille moins que lui, et suis donc disponible pour m’occuper de toutes les activités», illustre l’autrice. «Je ne voulais ni me marier, ni me pacser. Sauf qu’en cas de séparation, ou s’il lui était arrivé quelque chose, je n’avais aucune protection, aucune compensation. Je n’avais pas du tout vu les choses sous cet angle-là. Mon idée d’indépendance marchait… dans une société idéale, post-révolutionnaires et égalitaire. Mais on n’y est pas du tout, à l’égalité!»

Une histoire de pots de yaourt

Pour comprendre comment nous en sommes arrivés là, Titiou Lecoq nous présente Gwendoline, le personnage de son livre (qui nous ressemble un peu toutes). Au fil des pages, on la suit à toutes les étapes de sa vie: de l’argent de poche qu’elle reçoit petite fille (les chiffres démontrent, déjà à ce stade, des inégalités!), de la taxe rose qu’elle paiera dès l’adolescence, de son premier emploi, de son installation avec son mari Richard, ses enfants, sa pension…

«Dans notre vie privée, il y a tout un volet économique que l’on n’interprète pas comme tel. Par exemple, le fait de partir de chez ses parents: c’est profondément une question économique. C’est ce que montre le livre: tous ces moments de vie où Gwendoline prend une décision, sans se rendre compte des répercussions économiques qu’elles auront des années plus tard.» Et Gwendoline de nous démontrer, en réalité, de l’enfance à la retraite, que les inégalités financières se creusent entre hommes et femmes.

Divers mécanismes sont à l’œuvre: inégalité salariale, travail domestique, temps partiel, etc. Au bout du compte, la vie conjugale enrichit les hommes et appauvrit les femmes.

«C’est un constat qui est toujours valable en 2022, peut-être même plus qu’avant. Avant, il y avait plus de mariages, et les couples mettaient tout en commun (régime de la communauté des biens). Aujourd’hui, il y a plus d’individualisation (chacun arrive et repart avec ce qu’il possède)… et ça défavorise les femmes. Dans le sens où elles gagnent moins mais continuent à prendre en charge la majorité du travail domestique, ménager, parental, etc. Elles vont souvent se mettre à temps partiel pour cela, et donc gagner moins d’argent. Au moment de la séparation, elles repartent avec ce qu’elles avaient, c’est-à-dire pas grand-chose. Alors que leur compagnon qui a pu continuer sa carrière a gagné plus d’argent, a financé les grosses dépenses, etc.» Madame repartira donc avec les pots de yaourt vides qu’elle a payé toutes ces années, quand Monsieur repartira avec sa voiture, résume l’autrice.

«Ce qui est frappant, c’est que l’on se dit ‘C’est un petit truc’. Mais toutes ces petites choses accumulées… à la fin de sa vie, Gwendoline s’en rend compte: au final, l’écart est énorme.»

Comment renverser cette situation?

Si même en 2022 nous ne sommes toujours pas à l’égalité salariale, il y a pire encore: l’écart de patrimoine entre hommes et femmes va en s’aggravant. «On ne va jamais naturellement vers l’égalité. Sans décision volontariste de s’emparer d’un sujet, on creuse les inégalités.»

Alors, comment renverser cette situation? «Savoir. Savoir. Savoir», nous dit Titiou Lecoq. Ce sont des mécanismes impensés. «Le problème, c’est qu’on ne sait pas qu’on ne sait pas! C’est très rare d’avoir eu une éducation financière. L’école aurait un rôle à jouer là-dedans. En plus de la transmission au sein de la famille, d’en parler avec ses amis, de partager des outils, des astuces…»

Comment parler d’argent dans son couple?

S’il y a bien un sujet tabou, et même au sein d’un couple, c’est l’argent. «Il y a un truc très culturel. On n’est pas à l’aise avec ça», souligne Titiou Lecoq. «En plus, les femmes se sentent responsables de la bonne entente au sein du couple hétérosexuel. L’argent étant potentiellement un sujet d’engueulade, on va l’éviter. Et plus les écarts de revenus se creusent, plus ce sera difficile d’en parler car il y a un rapport de pouvoir derrière que l’on n’a pas envie d’aborder.»

Alors comment faire pour s’emparer du sujet? «Tout le monde a un rapport tordu à l’argent. C’est une histoire de chiffres et ça pourrait être très objectif. Mais personne n’est objectif là-dessus. On a tous des histoires familiales et des névroses. Et dans un couple, il y a toujours un flippé du fric. Avant de discuter finances, il faut d’abord essayer de comprendre le rapport de l’autre à l’argent», conseille-t-elle. «Une fois qu’on a bien mis les choses à plat, on peut discuter de nos manières de faire, et discuter redistribution.»

«Il faut se poser la question du partage des dépenses (qui paye quoi) mais aussi du partage des recettes», enchaîne-t-elle. «Et il n’y a pas que le salaire visible: le travail domestique compte aussi! Et ça se monétise: combien coûte une femme de ménage? Une garde d’enfant? Le temps partiel de l’un lui fait perdre du salaire, mais fait économiser pas mal de frais à l’autre. L’idée n’est pas de tendre une facture à son compagnon, mais faire le calcul, ça ouvre une discussion.»