#MeToo, cinq ans après: le mouvement risque-t-il de s’éteindre?

Il y a cinq ans, le #MeToo secouait le monde entier. Que se cache-t-il derrière ce hashtag? Quels sont les véritables apports de ce mouvement? Et quel avenir a-t-il? On en parle avec Rose Lamy, directrice de l’ouvrage collectif «Moi aussi: MeToo, au-delà du hashtag».

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par
Oriane Renette
Temps de lecture 5 min.

Le 5 octobre 2017, le «New York Times» révélait les violences sexuelles perpétrées par Harvey Weinstein à l’encontre de plusieurs actrices. Dix jours plus tard, l’actrice Alyssa Milano encourageait les victimes de harcèlement et d’agressions sexuelles à diffuser leurs témoignages accompagnés du #MeToo (Moi aussi). Le mouvement prend une ampleur inédite: en moins de 24 heures, ce hashtag est mentionné pas moins de 12 millions de fois. Dans la foulée, sous l’impulsion de Sandra Muller, le mouvement #BalanceTonPorc fait son apparition de notre côté de l’Atlantique. Tout ça, c’était il y a cinq ans. Cinq ans. C’est un anniversaire, l’heure du bilan.

«MeToo est souvent présenté comme une ‘vague’ qui serait ‘venue de nulle part’ et qui serait aujourd’hui ‘derrière nous’. Or, ce n’est pas du tout le cas », analyse Rose Lamy.

Metoo s’inscrit notamment dans un contexte plus large, celui de l’émergence d’un nouveau mouvement féministe depuis les années 2010 (abordant notamment les questions des règles, du plaisir féminin, de l’endométriose…). Avec, en parallèle, les évolutions technologiques, les manifestations anti-Trump, quelques affaires emblématiques (DSK, Cantat, Brock Turner, etc.)… Les racines de MeToo sont nombreuses et, probablement, encore relativement méconnues.

Déclinaisons multiples

Chez nous, on a non seulement assisté à l’émergence du mouvement MeToo, mais aussi à toutes ses déclinaisons: #BalanceTonPorc, #BalanceTonBar, #PayeTaRobe, #MeTooThéâtre, #PayetonTournage… «La transposition française du #MeToo est plus hostile: au lieu de relier les survivantes entre elles, on est dans un processus de dénonciation. Ce n’est pas une approche qui rassemble. Cette différence a mené à la multiplication des hashtags par secteur», poursuit celle qui est derrière la page Instagram «». «Car dans tous les secteurs, on a attendu cette fameuse vague sensée tout emporter sur son passage… mais elle n’est pas arrivée. Ni des organisations, ni du politique, ni des institutions… Alors, il a fallu relever ses manches et le faire soi-même. C’est ainsi que des choses sont arrivées, grâce à ces initiatives antisexistes collectives.»

Cette déclinaison en secteurs révèle un autre phénomène. Malgré l’ampleur du mouvement MeToo, malgré cette démonstration du caractère massif et systémique des violences sexuelles, chacun s’est dit qu’il n’était pas concerné. Pas de ça chez nous. «Il y a une résistance à penser que tous les hommes, de tous milieux, peuvent être concernés. Dans la culture du viol, c’est toujours les autres», pointe Rose Lamy. «Un agresseur, un violeur, ce n’est pas le mythe de l’inconnu marginal qui arrive la nuit sur un parking avec un couteau… Non: c’est un producteur d’Hollywood, c’est le directeur du FMI, c’est un chanteur de rock bien connu, c’est un présentateur vedette, c’est, plus récemment, un Youtubeur… La liste est longue. Et ça provoque toujours une grande sidération quand on dit: ça vous concerne aussi.»

Un tribunal populaire?

Ce que les détracteurs de MeToo reprochent souvent au mouvement, c’est d’avoir transformé internet en «un tribunal populaire encourageant la délation». Y avait-il d’autres options? «Le réflexe du discours dominant est de dire ‘portez plainte’. Mais la réponse judiciaire la voici: en France, avant MeToo, seul 1% des plaintes pour viols menaient à une condamnation. Maintenant, on est à 0,6%. Cela s’explique par le fait qu’il y a aujourd’hui plus de plaintes, mais cela révèle aussi un échec de la Justice», répond Rose Lamy. «J’aimerais beaucoup qu’on n’ait pas besoin d’avoir recours à ce tribunal médiatique. Mais pour ça, il faudrait que les tribunaux suffisent. À l’heure actuelle, ce n’est pas du tout le cas.»

Par ailleurs, on a pu constater que certaines dénonciations médiatiques ont mené à des enquêtes. «Et même si elles sont classées sans suite, au moins, le nom de l’agresseur est sorti. Ce n’est peut-être pas juste, mais c’est tout ce qu’on a pour protéger d’autres femmes. Pour couper le cycle de la violence. Faudrait-il s’en priver?»

«On nous a fait passer pour des délatrices», enchaîne-t-elle. «Or, ce n’est pas illégal de dénoncer des crimes et des délits en démocratie. C’est encouragé, et c’est même une obligation quand on est fonctionnaire d’état. Tant que je n’impute pas un crime à une personne avant qu’elle ne soit jugée, il s’agit d’un exercice démocratique.»

Quels horizons?

À l’heure du bilan, quels sont les défis qui attendent le mouvement MeToo? Rose Lamy identifie deux axes principaux. «Pour éviter de reproduire les erreurs des vagues féministes du passé, on se doit d’être plus inclusifs. Que ce soit sur les questions raciale, de classe sociale, de transphobie… Il nous reste encore à explorer les angles morts de #MeToo», soulève d’une part l’autrice. D’autre part, «tout en restant indépendantes, les différentes cellules sont en train de se rassembler. On va vers quelque chose de plus collectif et plus politisé.»

MeToo a donc encore de beaux jours devant lui? «Contrairement à l’idée reçue, MeToo n’est pas fragile», tranche Rose Lamy. «MeToo ne va pas mourir. Ce mouvement est tellement ancré dans tous les secteurs… Ce qui pourrait paraître une faiblesse est en fait une grande force, parce que c’est difficile de combattre une guérilla.»

«On manque encore de recul pour observer les avancées, mais il y a du positif à mettre en avant. Au bout du compte, ça avance. Même si on a des revers, même si c’est deux pas en avant, un pas en arrière… MeToo n’a pas déclenché de vague structurelle, mais bien une vague culturelle. En cinq ans, ça a beaucoup bougé au niveau des représentations. Maintenant, il faut construire. Et on a tout pour le faire.»