Yasmina Khadra pour 'Khalil' : "Je ne stigmatise personne"

Dans son nouveau roman, Yasmina Khadra se met dans la peau d'un des kamikazes des attentats du 13 novembre à Paris. «Khalil» nous plonge dans l'esprit d'un jeune jihadiste molenbeekois prêt à tout pour se faire exploser.
par
Maite
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Vous traitez souvent du terrorisme dans vos livres. Qu'est-ce qui vous intéresse sur le sujet?

«Le besoin de sensibiliser, de sauver aussi. De prouver que tout est secourable. Et puis, ce que je raconte dans ‘Khalil', je ne l'ai raconté dans aucun autre de mes livres. Ici je me glisse dans la tête d'un kamikaze. Le lecteur n'est plus un observateur mais un acteur à part entière. Il vit cette histoire. Je ne cherche pas à humaniser le kamikaze mais à humaniser le lecteur.»

Vous écrivez en ‘je'. Ce n'est pas la première fois que vous vous mettez dans la peau de vos personnages. Je pense notamment à votre livre sur Khadafi.

«Dans beaucoup de mes livres, j'utilise la première personne du singulier car cela me permet de me mettre à la place de mes personnages. C'est une manière de me mettre en situation. Je vais chercher ce qui identifie ou singularise mon personnage au plus profond de lui-même: ses affres, ses angoisses, ses doutes, ses certitudes. C'est comme si d'un seul coup, j'incarnais ces personnages.»

Comment vous sentez-vous lors de l'écriture de ce genre de roman? Ce n'est pas angoissant?

«Ce que j'ai vécu dans la réalité est pire (l'auteur a été un des responsables de la lutte contre le Groupe islamique armé en Algérie, NDLR). Pendant 8 ans, j'ai combattu les terroristes.»

C'est ce que vous avez vécu là-bas qui explique que le terrorisme est un de vos sujets de prédilection?

«Je peux écrire sur n'importe quel sujet. Mon objectif est avant tout de mobiliser, d'essayer de faire œuvre utile. À travers mes livres, je fais voyager le lecteur, tant dans les romans policiers que dans les histoires d'amour. En ce qui concerne les attentats, il y a une mauvaise interprétation de la réalité qui s'inscrit dans la malveillance. Il fallait que je réagisse en tant que citoyen.»

Molenbeek a souvent été pointé du doigt, les jeunes ont été stigmatisés. Vous n'avez pas peur d'en ajouter une couche avec votre roman?

«Je parle des attentats du 13 novembre. Certains kamikazes étaient de Molenbeek, je ne pouvais donc pas dire que mon personnage était d'Aix-en-Provence ou de Lille. Je voulais écrire quelque chose qui était très proche de la réalité. Mais je ne stigmatise personne. Au contraire. J'essaie d'apporter un éclairage sur une nébuleuse qui essaie de nous enténébrer.»

Vous connaissez bien cette commune?

«J'y suis allé plusieurs fois avant le livre. J'aimerais également y retourner et faire une rencontre avec des lycéens. Par ailleurs, je pense qu'il est important que les parents lisent également le roman. Ce n'est pas Molenbeek qui fait des terroristes, ce sont les parents qui ont délaissé leurs responsabilités, qui n'ont pas suivi leurs enfants, qui les ont laissés être livrés à l'incertitude et aux perversions. Les recruteurs récupèrent des êtres qui sont déjà fragiles, des laissés-pour-compte, qui se croient insignifiants.»

On ne peut quand même pas non plus tout mettre sur le dos de la famille, qui se sent parfois elle-même démunie.

«En tout cas, le monde change. Il y a un métabolisme dangereux qui est en train de nous dénaturer. Les jihadistes ne sont que les reflets des néonazis, des nationalistes… Il y a partout le refus de l'Autre. L'islamisme n'est pas la seule idéologie qui est un danger. Je pense que toutes les idéologies sont dangereuses.»

Toute personne délaissée ne devient pas forcément bourreau.

«Beaucoup de jeunes délaissés ont trouvé leur voie dans le sport, la musique, le théâtre ou le cinéma. Beaucoup de gens qui viennent des quartiers défavorisés et qui ont grandi dans une famille absente réussissent parfaitement. Mais il y en a d'autres qui sont récupérés ailleurs. Cela dépend de la porte qui se trouve devant eux. Soit c'est une porte qui donne vers le football, l'art… Soit c'est une porte qui donne sur un sanctuaire dangereux.»

Vous décrivez donc dans votre roman le parcours de trois amis. Celui qui a une mère qui le suit de près fait des études et réussit sa vie. Les deux autres deviennent des kamikazes.

«Je suis certain que tout commence à la maison. Les parents qui veillent sur leurs enfants ont plus de chances de les voir réussir dans la vie. C'est une expérience de terrain. C'est ce que j'ai remarqué en Algérie. Nous avions essayé de dresser le portrait d'un jihadiste-type. Ce qui revenait le plus, c'étaient les problèmes familiaux.»

Vous pensez qu'il existe un profil-type du jihadiste?

«Oui, c'est certain. Cette volonté de ne jamais se sentir coupable du malheur qu'il est le seul à rendre possible, de chercher un souffre-douleur et un bouc-émissaire. Il ne reconnaît pas sa responsabilité dans les méfaits qu'il est le seul à commettre.»

Khalil fait partie de ces jeunes qui, au départ, ne sont pas plus intéressés que cela par la religion.

«La plupart n'y sont pas intéressés au début. C'est lorsqu'il y a un vide autour d'eux, une sorte d'isolement et de solitude intenable qu'il faut à tout prix meubler, qu'un jour ils s'engagent.»

Dans votre roman, il s'agit des attentats de Paris du 13 novembre, Khalil est un des kamikazes dont la mission a échoué. On ne peut pas s'empêcher de trouver certaines analogies avec Salah Abdeslam.

«Je n'ai pas étudié la vie de Salah Abdeslam et je ne veux pas lui faire de la promo. En réalité, on a appris que sa ceinture n'avait pas explosé bien après que le livre soit en fabrication.»

En quelques lignes

Le vendredi 13 novembre 2015, Khalil n'a qu'une idée en tête: se faire exploser aux côtés de son ami et frère de cœur Driss. Il ne remet aucunement son choix en question: il doit servir Dieu et se venger de tous ceux qui l'ont rabaissé durant toutes ces années. Mais rien ne se passe comme prévu. Le soir même, le détonateur ne s'enclenche pas et Khalil est, une nouvelle fois, livré à lui-même. Que s'est-il passé? Pourquoi le détonateur n'est pas relié au bouton d'enclenchement comme prévu mais à un téléphone. Pourquoi Driss n'a-t-il pas attendu la fin du match au Stade de France pour se faire exploser. C'est à travers le regard du kamikaze lui-même que le lecteur suit cette histoire glaçante. Le nouveau roman de Yasmina Khadra nous plonge directement dans les doutes, les convictions, les questionnements du jeune Molenbeekois. C'est sans jugement aucun de la part de l'écrivain que le lecteur suivra le parcours et le chemin de Khalil vers la radicalisation. Un roman passionnant qui ne vous laissera pas indifférent. (mh)

«Khalil», de Yasmina Khadra, éditions Julliard, 264 pages, 19€