Maman d'un enfant handicapé, «ça reste un parcours du combattant très solitaire» pour Églantine Eméyé

Dans son dernier roman, Églantine Eméyé imagine un échange entre Samy, son fils de 12 ans autiste et polyhandicapé, et Mohammed, réfugié irakien de 37 ans qu'elle a accueilli chez elle. Au fil des pages, ils tissent un dialogue inattendu, tendre et touchant.
par
Clement
Temps de lecture 4 min.

Comment vous est venue cette idée de dialogue?

«Je voulais raconter Samy de l'intérieur, c'est-à-dire que Samy se raconte lui-même. Quand j'ai accueilli Mohammed, j'avais là un écho à ce que vivait Samy. Samy n'a pas de mots et Mohammed en était privé lui aussi. Il ne parlait qu'irakien et n'avait aucun moyen de communiquer avec nous. Je trouvais intéressant ce dialogue entre deux personnes qui n'arrivent à parler avec personne d'autre.»

C'est aussi une nouvelle façon de parler du handicap?

«Oui, c'est un autre regard. C'est une perception au plus proche de ce que Samy vit. Cela permet de découvrir que la personne handicapée, finalement, n'est pas très différente de vous et moi. Elle a ses propres blessures, elle doit faire avec. Mais elle a aussi son regard sur la vie: il peut être tendre, critique, joyeux… C'était pour rapprocher les gens, comme vous et moi, de ces personnes-là

Comment les avez-vous fait parler?

«Ça a été plus facile pour Samy. J'ai l'habitude d'essayer d'imaginer ce qu'il pense et ressent. Pour Mohammed, il y a eu beaucoup de questions auxquelles il n'a pas pu répondre. J'ai fait quelques recherches. Après, j'ai fait confiance à mon imagination et à mon sens de l'observation.»

Pour vous, sa maman, est-ce facile de lire Samy au quotidien?

«Ça reste très compliqué. C'est beaucoup d'interprétation, d'observations et de recherches. Parfois je devine certaines choses, parfois je me heurte à une incompréhension totale. Je suis sans doute celle qui le comprend le plus parce que je le connais intimement et que je connais le moindre tressaillement de son visage… Mais ça reste toujours un art un peu divinatoire

Installer Samy loin de vous, ça a dû être une décision difficile à prendre, mais aussi à concrétiser?

«Oui, c'est très difficile de trouver un lieu qui accueille un enfant comme lui. Et puis, la prise de décision a été encore plus difficile parce que ce n'est pas naturel de se séparer de son enfant. Même six mois avant de prendre la décision, j'étais à mille lieues d'imaginer que je pourrai faire une chose pareille! Je l'ai fait lorsque, soudainement, j'ai été convaincue que la vie que je lui offrais, chez nous, lui faisait du mal. Quand ça m'a sauté à la figure, il a fallu que je trouve une solution. Et si cette solution devait être loin de moi pour qu'il soit mieux, tant pis pour moi, mais tant mieux pour lui!»

Aujourd'hui, il a quitté l'hôpital pour une structure plus humaine…

«Plus adaptée et plus humaine, exactement. L'hôpital a ses contraintes, ses moyens financiers… C'est difficile la vie d'hôpital. Là, Samy est dans un véritable lieu de vie. C'est presque une colocation, et avec plus de monde pour s'occuper d'eux.»

Ça lui fait du bien?

«Énormément! Ça change tout. C'est hallucinant la différence. Avant, c'était miraculeux d'avoir dix jours successifs de calme pour Samy. Aujourd'hui, c'est plutôt l'inverse. On a plus souvent l'occasion de voir Samy apaisé, détendu et souriant

Il reste encore de multiples chantiers pour l'inclusion des personnes handicapées…

«Jusqu'il y a peu, on appelait la Belgique au secours! Nos enfants venaient chez vous. Il n'y a pas très longtemps que le gouvernement français a décidé qu'il fallait que l'on ait nos propres solutions. Elles se mettent en place progressivement. C'est bien. Mais c'est long, pour nous, familles, d'attendre ces solutions. Et puis, il reste un grand pas à faire pour qu'ils soient intégrés dans tous les pans de la société. Aussi, il y a encore tellement à faire dans l'aide aux familles, qui sont désemparées. C'est très cruel d'avoir un enfant handicapé. C'est long avant de comprendre et d'accepter les limites de notre enfant. C'est un cheminement personnel qui est long, douloureux et beaucoup trop solitaire

En tant que maman, vous vous sentez plus soutenue aujourd'hui qu'auparavant?

«Non. Honnêtement, en tant que famille pas tellement. Ce sont les associations qui sont les plus soutenantes. Mais ça reste très compliqué. Ça reste un parcours du combattant très solitaire.»

EN QUELQUES LIGNES 

 
À première vue, Samy et Mohammed n'ont pas grand-chose en commun. Samy a 12 ans. Polyhandicapé et autiste sévère, il vit à l'hôpital, loin de sa famille. Mohammed en a 37. Après avoir fui les bombes et son pays, il arrive en France, où il obtient le statut de réfugié et est accueilli par une famille. Pourtant, quelque chose les lie tous les deux : ils n'ont pas de mots. Sous la plume d'Églantine Éméyé, Samy et Mohammed vont se raconter leur quotidien et se livrer l'un à l'autre. Un dialogue plein de tendresse et d'humanité qui fait souffler une bouffée d'air frais sur nos vies de « normaux ».
 
« Tous tes mots dans ma tête », d'Églantine Éméyé, aux éditions Robert Laffont, 240 pages, 19€.
 

Oriane Renette.