"Ma reine": Dans la tête d'un enfant pas comme les autres

Le scénariste et réalisateur Jean-Baptiste Andrea signe son premier roman. «Ma reine» fait entrer le lecteur dans la tête d'un enfant pas comme les autres. Un roman rempli de douceurs et d'émerveillements.
par
Maite
Temps de lecture 5 min.

Pour votre premier roman, vous avez voulu raconter une histoire à travers les yeux d'un enfant. Pourquoi un récit à la première personne?

«Ce qui m'intéresse dans l'écriture, c'est de porter un autre regard sur le monde, un regard qui ne sera pas du quotidien et de l'ultra-réalisme. Je pense que naturellement le regard d'un enfant se prêtait assez bien à ce décalage, à cette façon dont moi, je vois le monde. Le but de ce roman est aussi d'amener un peu d'émerveillement à travers le regard du héros. Le choix d'un enfant était donc tout à fait naturel.»

Ce choix vous est-il venu directement?

«Ce n'était pas un choix conscient. Quand je cherche un sujet qui m'intéresse, il y a beaucoup d'idées qui passent à travers les mailles du filet car les regards trop normaux ne m'intéressent pas. Ce regard, c'est ça que je voulais raconter. Il me correspond.»

Ce regard d'un enfant, est-il facile à décrire?

«J'ai plus difficile à me mettre dans la peau d'un adulte, pour être honnête (rires). Je ne sais pas ce que ça dit sur moi. Mais c'était plus facile. Dans l'écriture, les gens qui comme moi flirtent beaucoup avec l'imaginaire, se sentent plus proches de l'enfance.»

Notre avis

Shell vit avec ses vieux parents, à la Vallée de l'Asse. Il les aide à la station-service mais les voitures se font de plus en plus rares… Shell est un enfant pas comme les autres. Quelque chose ne tourne pas rond dans sa tête, et il en est conscient. Il est différent, et ses bêtises peuvent être dangereuses. Un jour, il entend ses parents dire au téléphone qu'ils deviennent trop vieux pour s'occuper de lui. Le jeune héros veut donc leur prouver qu'il est un adulte et qu'il est assez grand pour s'occuper de lui tout seul. Pour cela, il décide de partir à la guerre. Mais il n'ira pas très loin. Il n'y a aucune guerre à l'horizon, et surtout sur le plateau de la vallée, il rencontre une fille, Viviane, qui, elle, ne veut pas grandir. Elle lui invente un monde imaginaire dans lequel elle est reine. Shell ne veut pas la quitter et va passer un bout d'été magique à ses côtés. Dans «Ma reine», Jean-Baptiste Andrea nous dépeint un magnifique portrait de l'enfance empreint d'imaginaire et d'émerveillement. Il nous propose un autre regard de la réalité. Un regard innocent, pur et entier. Le roman est une véritable ode à la liberté. Une belle respiration littéraire. 3/5 (mh)

«Ma Reine», de Jean-Baptiste Andrea, éditions L'iconoclaste, 240 pages, 17€

 

Shell, le héros, veut grandir, devenir un homme. Pour cela, il part à la guerre. Il rencontre Viviane, qui elle au contraire ne veut pas grandir.

«On est à ce moment crucial de la vie où il y a un choix à faire. Veut-on renoncer à l'enfant qui est en nous? Elle lui dit qu'il est complètement stupide de devoir devenir adulte puisqu'elle voit un monde adulte très noir. Je n'essaie pas non plus de dire qu'il ne faut pas grandir. On n'est pas dans le syndrome de Peter Pan. Il faut savoir grandir et assumer ses responsabilités d'adulte. Par contre, ce que j'essaie de faire comprendre, c'est qu'il ne faut pas grandir en écrasant l'enfant qui est en nous. Cette transition de la vie est, pour Shell, encore plus complexe car il n'est pas comme tout le monde.»

Le fait qu'il ne soit pas comme tout le monde aide-t-il l'écrivain à décrire l'imaginaire, l'émerveillement?

«Bien sûr. Shell n'est pas encombré par tous les préceptes, les règles, les œillères qu'on nous impose. Il a cette boule d'énergie qui fracasse les barrières qui nous sont imposées. Ce regard-là me permet de proposer aux lecteurs de regarder avec un léger décalage les barrières. En faisant un petit pas à droite et un petit pas à gauche, on peut voir à quel point elles sont parfois ridicules. J'essaie de donner un côté un peu rafraîchissant à notre regard. Nous sommes calcifiés, et il suffit de se décaler un peu pour que cette couche de calcaire, d'allusions et de dépôts qui est sur nous se fracasse. Il ne faut pas grand-chose pour cela, pour atteindre plus de souplesse. Il n'y a rien qui se dépose sur Shell, rien ne l'atteint.»

Pas tout à fait. Et les choses négatives doivent pour Shell rester négatives. Par exemple quand le petit garçon qui le martyrise à l'école ne le reconnaît pas, Shell est perdu. Il a l'impression de ne plus exister.

«C'est marrant, peu de gens ont vu cet aspect-là. Je ne voulais pas que le personnage soit manichéen. Les choses ne l'entachent pas, c'est vrai. Mais en même temps, il est humain. Le personnage doit donc être complexe. J'entends beaucoup de gens dire que ce roman est un conte. Ce n'est pas que ça me déplaît mais ce n'est pas tout à fait vrai. Ce n'est pas une parabole. Je voulais un peu de réalisme. Pourquoi dire que c'est un conte? Car cela se passe très loin du monde des adultes. Comme le roman est loin de la réalité, les gens y voient un conte. Mais vous vous me parlez de faits ancrés dans la réalité. Ce gamin sent qu'il existe à travers des choses noires qui l'ancrent dans la réalité. C'est important d'avoir cette complexité et de ne pas avoir un gamin détaché de la réalité et des souffrances. La souffrance, c'est important pour rendre le beau précieux. Je ne veux pas que Shell soit le benêt du village. Sa souffrance, c'est aussi sa richesse.»