Les moments marquants du 71ème Festival de Cannes

Le tapis rouge est remballé, les prix ont été distribués, tout le monde est rentré à la maison. Avant de passer à autre chose, et en attendant de découvrir en salle les films qui ont fait parler d'eux, retour sur les moments forts de cette 71ème édition.
par
elli.mastorou
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Il fallait marquer le coup, et ça n'a pas loupé. Du premier au dernier jour du festival, la question de la place des femmes dans le cinéma en général, et à Cannes en particulier, a traversé la Croisette, faisant le bonheur des uns et le malheur des autres. Cette année, il y avait 3 réalisatrices parmi les 21 films proposés pour la Palme d'Or. C'est peu de dire qu'elles étaient attendues au tournant, et leurs films ont eu vite fait d'être mis dans le même sac alors qu'ils étaient, sur la forme et le fond, assez différents. Les 18 autres films n'étaient pas tous réussis -pourtant personne n'a pensé à dire que les films d'hommes ont déçu. Eva Husson et ses ‘Filles du Soleil' sur le combat de femmes yézidies contre Daesh, a été la plus mal accueillie par la presse (il faut dire qu'hélas le film n'était cinématographiquement pas à la hauteur) mais au niveau du marché, son film s'est bien vendu. Fable rurale italienne, ‘Lazzaro Felice' d'Alice Rohrwacher a divisé mollement, coup de cœur pour certains, indifférence tiède pour d'autres. Quant à Capharnaüm de Nadine Labaki, sur des gamins abandonnés dans les rues de Beyrouth, c'est peu de dire qu'il a déchiré les festivaliers : « magnifique », « larmoyant », « Palme d'Or », « misérabiliste »…. A côté de ça, le Festival a fait son maximum pour se positionner politiquement, entre les flyers avec un numéro anti-harcèlement, la signature d'un accord de parité d'ici 2020 (signé par des hommes, donc), une montée des marches par 82 femmes … Et le dernier soir, l'actrice et cinéaste italienne Asia Argento a clôturé l'édition avec fracas, dénonçant sur scène les abus de Weinstein dont elle a été une des nombreuses victimes. N'en déplaise à ceux qui ne comprennent toujours pas l'importance de mettre les pieds dans le plat, sa présence et son discours puissant, en plein dans cette grande fête du cinéma, était un geste politique important. On ne s'étendra pas sur les gémissements des conservateurs dépassés, déjà trop médiatisés, pour qui 3 femmes sur 21 films et deux films très différents sur l'homosexualité (Honoré, Gonzalez) c'était déjà trop. On se dira juste qu'on avance, lentement, mais que de toute évidence, il y a encore du boulot.

 

AFP

C'était la conférence de presse la plus folle du festival. Depuis qu'il a fait annuler l'édition de Mai 68 il y a pile 50 ans, ça faisait un bail que Jean-Luc Godard n'avait plus mis les pieds à Cannes. On ne pensait donc pas le voir à la présentation du ‘Livre d'image', son dernier film expérimental et chaotique. Surprise, le réalisateur de ‘Pierrot Le Fou', dont l'affiche du festival rendait hommage cette année, était là… sur FaceTime, grâce au téléphone de son producteur. Les journalistes ont fait la file pour poser leurs questions devant l'écran, et le réalisateur répondait avec son franc-parler légendaire, confortablement assis dans son canapé en Suisse. C'est paradoxal, mais c'est le cinéaste le plus âgé de la compétition qui remporte le prix de l'audace visuelle, tant pour son film que sa façon de le présenter.

 

Zain Al Rafeea (à droite) dans Capharnaüm de Nadine Labaki

Il s'appelle Zain Al Rafeea, il a 13 ans, et son visage a touché au cœur dès qu'il est apparu sur l'écran. Dans ‘Capharnaüm' de la Libanaise Nadine Labaki, pour son premier rôle au cinéma, il incarne un gamin qui porte plainte contre ses parents pour l'avoir mis au monde. Maltraité, non déclaré, invisible du système, la vraie vie de cet enfant venu de Syrie et réfugié au Liban, est très similaire à l'histoire du film, écrit par Labaki à partir de dizaines de rencontres avec de tels enfants. Si le film a divisé, sa performance a ébloui. Lors de la conférence de presse, épuisé par le rythme cannois, il a fini par s'assoupir tandis que la réalisatrice répondait aux questions. On lui souhaite un futur aux antipodes de ce film déchirant.

 

Lukas Dhont (à droite) et son acteur Viktor Polster recoivent la Caméra d'Or - AFP

Présenté dans la section Un Certain Regard (les futurs grands), c'est définitivement le film qui, cette année, a fait le plus parler ! Premier film du Belge Lukas Dhont, inspiré de l'histoire vraie d'une fille née dans un corps de garçon voulant devenir ballerine, ‘Girl' a bouleversé les festivaliers. Pour sa mise en scène délicate, son propos fort sur la transidentité, et pour la prestation intime de son acteur, Viktor Polster, danseur étoile trouvé par la production après avoir cherché des centaines d'actrices transgenre sans succès. Il repart de Cannes avec quatre prix prestigieux : le prix d'interprétation (non genré, une première), la Queer Palm (le prix LGBT du festival), le prix FIPRESCI (prix des journalistes) et la Caméra d'Or, équivalent de la Palme d'Or du premier film. ‘Girl' sortira en Octobre en Belgique, et Metro continuera de vous en parler !

 

The House That Jack Built - Crédit : Zentropa-Christian Geisnaes

On ne l'a pas vu donc on ne se prononcera pas sur le contenu, mais ‘The House That Jack Built', le nouveau film de Lars Von Trier, de retour à Cannes 7 ans après son bannissement pour des propos étranges sur Hitler, a remis de l'huile sur le feu. Beaucoup de journalistes ont claqué la porte de la salle de projection face à cette histoire d'un tueur en série qui considère, d'après ce qu'on a compris, ses meurtres filmés en long en large et en détail, comme des œuvres d'art. Les fans inconditionnels du cinéaste danois ont hurlé au génie, le reste a hurlé de dégoût. Le film sortira bientôt en Belgique, si vous y allez, on vous conseille de manger léger.

 

Hirokazu Kore-Eda et sa Palme d'Or © Borde-Moreau/Bestimage

Il ne ressemble pas à ce qu'on attendait, mais on est quand même satisfaits : après plusieurs passages à Cannes, le Japonais Hirokazu Kore-Eda décroche enfin le gros lot avec ‘Une affaire de famille', l'histoire touchante d'une famille japonaise recomposée qui vit dans la clandestinité. Le jury présidé par Cate Blanchett a préféré une palme de l'émotion à une palme politique, rabattant le clapet à ceux qui prédisaient la Palme à Nadine Labaki ‘parce que c'est une femme' (et pas pour son film bouleversant à défaut d'être révolutionnaire cinématographiquement parlant). ‘Capharnaüm' trône quand même sur la troisième marche du podium (Prix du Jury), juste après ‘BlacKKKlansman' de Spike-Lee (Grand Prix), brûlot 70s funky contre l'Amérique raciste de Trump. Même Godard a droit à sa Palme spéciale (on a tiqué, mais pourquoi pas…). On regrette juste l'absence de ‘Burning', superbe thriller coréen de Lee Chang-Dong adapté de Murakami, qui se console avec le prix FIPRESCI (section Compétition).

Elli Mastorou