"La Imaginacion del Futuro" de la compagnie La Resentida

par
Nicolas
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« La Imaginacion del Futuro » de la dynamique compagnie chilienne La Resentida débarque chez nous avec déjà son lot de critiques et de polémiques récoltées depuis sa création et au fil de sa tournée internationale (dont un passage remarqué au dernier festival d'Avignon). Remuante ? Même parfois épuisante. Irrévérencieuse ? En tout point. Outrancière ? Parfois. Révisionniste ? Adjectif (lâché par Les Inrocks lors du passage avignonnais) qu'on ne pense injustifié car le spectacle parle plus de présent que du passé.

En touchant à l'icône Allende et à son dernier discours précédant son suicide, Marco Layera le metteur en scène savait où il mettait les pieds, le contexte d'une mémoire collective encore fragile et tue. Acculé dans son palais présidentiel de La Moneda, le docteur Allende s'apprête à affronter les putschistes de l'armée venus le destituer. Autour de lui, s'affaire son conseil des ministres, qui telle une équipe de communication modèle et refaçonne la mise en scène de cet instant historique. Première critique acerbe d'une communication politique qui a privilégié la forme sur le fond. Dans un studio d'enregistrement de pacotille, il malmène leur leader, le déguise mais lui permette de faire sa sieste réparatrice. Les disputes de cabinets opposent alors gauche et droite molles sur des discussions de salon bien éloignées des préoccupations populaires.

Le spectateur attentif comprendra très vite que ce n'est pas tant du passé que du présent ce dont ces comédiens sur ressorts veulent nous parler, mais bien d'un héritage. Dans sa confrontation avec le passé, le spectacle mais lourdement en cause la main américaine qui avait alors poussé au pouvoir la dictature militaire usant la terreur et la violence. Ces ministres drogués au Coca-Cola semblent ‘merchandiser' un produit politique quitte à ne pas y croire. Plus de 40 ans après, les mots chargés d'espoir et d'appel à la résistance d'Allende ont laissé la place aujourd'hui à des aspirations déçues, à en croire la Resentida. À l'image de cet enfant, qui ne peut compter sur un enseignement privé et inaccessible pour le commun des Chiliens, et qui finalement tombera sous les violences policières (référence au mouvement étudiant de 2011).  On passera à côté du passage peu subtile accusant grands de ce monde de crimes sexuels, pour en retenir un sincère cri d'alerte d'une génération qui ose aujourd'hui briser les tabous de l'histoire et pour critiquer les formes imposées du progrès, qui ne profite pas à tous.

Si on laisse le soin aux historiens d'évaluer l'exactitude de ce vaste portrait de plusieurs décennies d'histoire en nonante minutes, le critique peut quant à lui assurer de l'efficacité d'un spectacle qui évite le travers de ce qu'il dénonce, en mettant la forme entièrement au service d'un discours de liberté et de justice sociale porté par une génération en proie au doute mais motivée pour rappeler le discours du père de la démocratie chilienne. L'exubérance et le faux désordre relèvent presque de la farce et du clownesque, mais confèrent à l'ensemble une énergie électrisante qui arrive à se contenir dans une scène finale magistralement menée sur les derniers instants d'Allende dans son palais.

Nicolas Naizy

Crédit photo: La Resentida