Dans votre précédent roman, vous racontiez le pari fou d'une mère prête à tout pour ramener son fils à la vie. Dans celui-ci, dans un second plan, vous racontez aussi la volonté d'une mère prête à tout pour protéger sa famille de sa maladie.
«J'aime beaucoup écrire sur la famille, je trouve que c'est quelque chose de fondamental. On vit avec notre famille de manière quotidienne, et les liens qui nous rapprochent sont extrêmement forts. J'aime explorer la force des liens familiaux, sous toutes leurs formes. Dans ce roman, c'est surtout la force du lien entre surs mais également entre parent-enfant. J'ai essayé d'explorer toutes les facettes de ce dernier lien: le rejet, l'abandon, les liens étouffants d'un parent sur un enfant, la protection »
Et il y a aussi l'absence de ce lien. Votre héroïne, Romane, n'a pas d'enfant et le regrette.
«Romane, au tout début du roman, est une femme vivante qui ne vit pas vraiment. Elle est un peu en sursis. Elle ne sait pas vraiment expliquer pourquoi. Mais elle sent qu'il y a quelque chose dans son passé, ou qu'il y a des non-dits au niveau de sa famille, qui l'empêchent d'avancer et de se construire sereinement. Elle n'arrive pas vraiment à le toucher du doigt. Mais elle a toujours quand même en tête le fait qu'il y a quelque chose de pas très normal avec la relation qu'elle entretient avec son père. Elle a le regret d'être fille unique, de ne pas avoir d'autres attaches familiales. Elle a passé toute son enfance et son adolescence dans une forme de duo avec son père. Quand elle va avoir la révélation qu'il existe quelqu'un qui lui ressemble, ça l'intrigue et elle va se raccrocher à cette idée que peut-être il existe quelqu'un de sa famille quelque part. Elle pense que ça pourra la sortir de sa solitude.»
Votre roman parle aussi de comment on grandit, on se construit sans lien maternel.
«Au début de cette histoire, elle n'a pas l'impression de s'être mal construite dans sa vie. Elle a juste des angoisses, comme beaucoup de gens. Mais avec la révélation de l'existence de cette jumelle, elle va se rendre compte qu'en réalité, les choses qui la bloquaient étaient de l'ordre du non-dit familial.»
Par ailleurs, elle a des maux psychologiques qui ressemblent étrangement aux maux physiques de sa sur jumelle.
«Le thème de la gémellité et la connexion possible entre les jumeaux me passionnent. J'ai toujours trouvé cela très romanesque. J'aime beaucoup lire des histoires qui parlent de cette connexion même si je ne crois pas à la connexion des esprits. Par contre, je crois en la puissance de ce qui peut se passer avant la naissance. Je crois, en effet, que le fait d'avoir vécu dans le ventre maternel avec une autre personne engendre des liens et des réminiscences. C'est certainement cela que Romane ressentait tout au début de l'histoire. D'ailleurs à un moment, quand elle est avec l'enfant de sa sur, elle évoque que quand elle était petite, elle jouait souvent avec deux poupées. Petit à petit, on découvre qu'au fond d'elle, elle savait qu'il y avait quelqu'un d'autre.»
Vous dites que vous ne croyez pas en la puissance de l'esprit entre des jumeaux. Mais il y a un tas d'histoires qui vont dans ce sens.
«Je crois en l'inné. Les jumeaux sont un terrain d'étude extraordinaire en la matière. Qu'est-ce qui est inné? Qu'est-ce qui est acquis? Des expériences illégales avaient été menées en séparant des jumeaux à la naissance afin de déterminer ce qui était de l'inné et de l'acquis. Et en effet, on retrouve certains chemins de vie et de pensées identiques chez les jumeaux.»
Dans votre roman, les surs se reconnaissent plein de points communs, pourtant elles ont des vies complètement différentes.
«Évidemment, tout n'est pas inéluctable. Ici, il est question d'acquis. En plongeant deux individus qui ont le même patrimoine génétique, dans deux environnements opposés, on obtient des individus qui ont certes des connexions mais qui au final, n'ont rien à voir l'un avec l'autre. Ce que j'ai trouvé passionnant dans le parcours de Romane, c'est de la mettre face à une autre version d'elle-même.»
Cette autre version, Romane l'a trouvée plus belle, plus attirante
«Au début, cette version lui semble inaccessible. Juliette est une version idéalisée de Romane. C'est la femme que Romane aimerait être. En fait, elle se rend compte que ça ne lui est pas si inaccessible que cela.»
Romane est tellement mal dans sa vie qu'elle est prête à l'échanger.
«En tout cas, elle se dit que la vie qu'elle a aujourd'hui ne la satisfait pas plus que ça et que la changer ne serait pas une grande perte. À part son père, elle n'a rien qui la retient. Toute la question que je pose dans ce roman est celle de saisir une deuxième chance. Il y a plusieurs personnes qui sont confrontées à la possibilité d'un nouveau départ, d'une réparation, d'une deuxième chance. Romane comprend au fur et à mesure de l'histoire qu'elle n'a rien à perdre. Au contraire, elle a tout à gagner à saisir une seconde chance.»
En quelques lignes
«La vie qui m'attendait», de Julien Sandrel, éditions Calmann Lévy, 317 pages, 18,5 4/5