Julien Doré pour son « aimée » : «J'ai assez parlé de mes peines de cœur»

En septembre dernier, Julie Doré sortait son «aimée», un cinquième album aux accents très ‘feelgood' sur les bords mais qui mêle la légèreté à la mélancolie par cette envie que l'artiste a eue d'évoquer le monde dans lequel il vit. Une dose de fatalisme et d'inquiétudes mais néanmoins une volonté de transmission pour les générations futures.
par
oriane.renette
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On connaît votre goût pour le contact avec le public. Comment vivez-vous cette attente forcée?

«Il y a un mélange de plein de choses. De la frustration à ne plus être en contact avec le public pour pouvoir faire ma musique, chanter mes mots et mes mélodies. Mais en même temps, il y a quand même un lien à travers les réseaux sociaux, notamment Instagram que j'utilise comme si j'ouvrais la porte de ma loge en attendant de pouvoir monter sur scène avec eux. Il y a donc un lien qui est là, qui est d'ailleurs sans filtre, et en même temps une frustration qui est celle de mourir d'envie de monter sur scène. Mais il y a surtout une colère qui est celle de la situation de mon équipe, de mes camarades, des intermittents, des prestataires, des personnes qui travaillent dans les salles de spectacle qui, depuis plus d'un an, sont dans l'interdiction de pouvoir exprimer leur talent. Donc, c'est surtout à eux que je pense, avant de penser à ma propre situation. C'est grâce à ces gens de l'ombre que j'ai la possibilité d'être dans la lumière sur scène.»

Des personnes qui sont aujourd'hui en grande difficulté économique.

«Exactement. Ils sont dans une situation catastrophique. Aujourd'hui, je suis en train de remonter mon équipe pour repartir en tournée en octobre prochain, et certains prestataires avec qui je travaillais ont parfois déjà déposé le bilan, voire même changé de domaine d'activité. Le pilier de la culture est en train de s'effondrer totalement par ces interdictions. Je ne me targue pas de connaissances scientifiques, mais oui, la culture se meurt. Des milliers de personnes ne travaillent plus depuis un an et c'est dramatique.»

Au début de votre tournée en octobre prochain, votre album aura déjà un an.

«Globalement, sur des tournées de Zéniths et de grandes salles, c'est toujours le cas. Ça l'a été pour l'album précédent. Le temps de monter la tournée, de créer le spectacle et de le faire vivre sur scène, ça prend en effet près d'un an. C'est différent quand on tourne dans des théâtres, des clubs, des lieux plus petits, ça peut être juste quelques mois après la sortie du disque.»

Ce qui doit être réconfortant pour vous, c'est l'accueil que le public a eu pour votre album.

«Oui, c'est rassurant mais surtout très émouvant. Au moment où j'ai écrit ces chansons, il n'y avait pas encore de pandémie. Je les ai écrites en me basant sur le thème de la transmission, une forme de tendresse, et sur l'inquiétude à propos du monde dans lequel je vis. Et c'était assez incroyable de me rendre compte, quelques mois après, que les chansons font écho à la situation actuelle tout en créant du lien avec le public. L'album est complètement fou et me rend forcément très heureux. Je souhaitais écrire des chansons pour une nouvelle génération. Quand je vois, aujourd'hui, des enfants réagir au vidéoclip de la chanson ‘Nous', c'est très émouvant pour moi, car c'est à eux que je pensais quand j'étais tout seul devant mon piano en train de la composer.»

Cet album crée une sorte de bulle contre les agressions extérieures. Les gens en avaient sans doute besoin.

«Oui, et en même temps, dans cette parenthèse-là, il y a toujours des points d'accroche à la réalité, à l'époque dans laquelle on vit. C'était très important pour moi d'avoir, dans cette bulle de tendresse et de transmission, de part d'enfance et de rêve, des points d'accroche dans mes textes sur les inquiétudes actuelles. Ce mélange des deux est très fort pour moi parce que je sais que quand un enfant regarde le clip de ‘Nous', il regarde ces deux dinosaures mais il entend aussi une phrase qui est en écho avec une situation réelle.»

Il est question de tendresse et de douceur mais aussi d'une dose de fatalisme et de désinvolture dans vos chansons.

«C'est une volonté. Je pense qu'on peut faire rêver, danser, sourire tout en confiant nos inquiétudes, notre pessimisme, la fatalité que l'on ressent, etc. Ce qui m'a toujours gêné dans l'entertainment et la pop music, c'est qu'on ne montre qu'une facette. On dit ‘Ok, je vais vous faire danser'. Mais en le faisant, je veux aussi, par sentiment de justesse et de sincérité, te dire que je suis inquiet et pessimiste sur certaines choses. Dans ces chansons pop, la production musicale est aussi pop, mais dans les textes, je confie aussi mes inquiétudes, mes points d'interrogation, et une forme de pessimisme.»

Ce n'est pas seulement un album ‘feelgood'.

«Disons qu'il y a la possibilité de ressentir les deux. Ce qui m'intéresse, ce n'est pas que l'on comprenne ce que je fais, mais de susciter une émotion quelle qu'elle soit. C'est ma mission. Mais pourquoi y a-t-il ces deux facettes? Parce que je les écris avec ce que je suis, avec qui je suis. Et le garçon que je suis, au-delà de l'artiste, est plein d'enthousiasme certains matins et enveloppé de doutes à d'autres moments. Et je me dois de confier aux gens qui m'aiment bien tout ce que je suis.»

C'est pour cela que c'est à la fois un album très intime sans que vous en soyez vraiment le centre.

«Mon petit avis n'est pas la partie la plus intéressante, mais bien le voyage que je propose avec ces chansons. Mais vous avez raison. Pour ce disque, j'ai cessé d'écrire des chansons qui étaient souvent d'amour où je parlais de mes peines. La première phrase de la chanson ‘La Fièvre', c'est ‘Je ne veux plus écrire les peines que le féminin m'a faites'. C'était donc une bonne introduction, j'ai assez parlé de mes peines de cœur, et je vais essayer de vous raconter la façon dont je vois le monde.»

Vous êtes nommé aux Victoires de la musique dans les catégories ‘Album de l'année' et ‘Création visuelle'. Vous ne devriez pas repartir les mains vides.

«Ah ça, je ne sais pas du tout. C'est un questionnement un peu trop égotique que l'on peut avoir à l'approche de ce type de cérémonie. Ce qui m'intéresse, c'est que cette année, pour la Victoire du meilleur clip, c'est le public qui vote. Et cela a un écho très beau pour moi. C'est différent des quelques centaines de personnes qui votent parce qu'ils ont la possibilité de le faire. Cette ‘victoire', j'en rêve parce que c'est la première fois que je suis nommé avec Brice VDH avec qui je travaille depuis de longues années. Mais en face, il y a deux clips sublimes, de Christine and the Queen et Woodkid. On verra bien.»