Jean-Luc Lemoine sans concession : «La liberté d’expressionest un combat permanent»

«Il paraît qu’on ne peut plus rien dire alors il est essentiel de le faire». Dans son dernier spectacle «Brut», Jean-Luc Lemoine se livre sans concession ni filtre, mais toujours avec humour, sur les sujets qui fâchent.

par
Clément Dormal
Temps de lecture 6 min.

Dans le spectacle, vous vous demandez de quoi l’on peut encore rire. Vous censurez-vous parfois?

«Non jamais, en revanche sur certains sujets un peu difficiles, j’essaye de trouver le bon angle car je pense qu’il y a des sujets sur lesquels on doit faire très attention à ce qu’on dit. Mais on peut, et on doit, rire de tout.»

À quels sujets pensez-vous?

«Dans la première partie du spectacle j’ai un peu visité tous les sujets potentiellement inflammatoires. Ça va du véganisme au terrorisme, au féminisme, en passant par le communautarisme quel qu’il soit. Ce sont tous des sujets susceptibles d’enflammer les foules.»

Vous avez dit il y a peu que la liberté d’expression était en danger, pourquoi?

«Car c’est un combat permanent. Tout le monde a peur aujourd’hui d’avoir un bad buzz, d’être au centre d’un procès sur les réseaux sociaux… À un moment, les gens réfléchissent de plus en plus et si on continue comme ça, plus personne n’osera prendre de risques. On se retrouvera dans une société plus policée. Les réseaux sociaux ont donné la possibilité à certains de se faire entendre, c’est super important, mais il y en a d’autres qui ont un peu perverti ces outils pour en faire des éléments de censure.»

Aujourd’hui, pensez-vous d’abord à la possible justification d’une blague avant de la placer dans votre spectacle?

«Je n’y pense pas d’abord, mais j’y pense aussi. Il y a une nuance quand même car je ne suis pas dans une sorte de paranoïa. En fait, je prends le plaisir de faire ma bonne blague puis je me demande comment elle va être interprétée, je me projette. Je me demande si elle va être inattaquable, si certains risquent de mal la comprendre, si cela arrive, qu’est-ce que je vais dire, quel est le propos derrière cette vanne… Après, je trouve ça dommage de devoir expliquer ses vannes. Mais si l’époque veut cela…»

Votre spectacle a un ton très direct, pourquoi?

«C’était une volonté. C’est mon cinquième spectacle solo et j’avais envie de sortir de ma zone de confort, d’aller dans des endroits où on ne m’attendait pas. Je n’avais pas envie d’avoir de regrets. Puis la Covid est arrivée et cela a renforcé mon impression d’urgence et ce besoin de dire les choses maintenant sans faire de politesses.»

Comment réagit le public?

«Il est généralement surpris dans le bon sens du terme. Il ne s’attendait pas à ce que j’aille aussi loin. Après, il y a des gens qui me connaissent par la télévision qui n’ont peut-être pas conscience de mon travail sur scène. La plus belle récompense, c’est quand j’arrive à encore surprendre des gens qui ont vu mes précédents spectacles.»

Votre spectacle a-t-il justement évolué à cause de la Covid-19?

«Il n’a fait que ça. Ce n’est pas un spectacle sur la Covid mais j’en parle évidemment. Je voulais que le spectacle soit une photographie de notre époque donc je ne pouvais pas passer à côté. Après, je ne veux pas prendre la tête aux gens avec ça car on en a tous assez bouffé. Cela m’a cependant obligé de réécrire plein de choses. Aujourd’hui, je suis à la version 17.»

Peut-on se permettre plus de choses sur scène qu’à la radio ou à la télévision?

«Sans aucun doute oui. Pour raison simple: c’est qu’on a le temps. Et encore, en radio on a aussi le temps de développer une idée dans certaines rubriques. En télévision, c’est beaucoup plus immédiat et vous êtes au service d’un diffuseur donc c’est plus compliqué. Sur scène, on peut aborder tous les sujets et on a le temps de les développer jusqu’au bout. Après, les gens seront d’accord ou non avec vous, ce n’est pas le problème. Mais en tout cas, ils auront compris votre idée. C’est ça qui est important. Dans un média plus traditionnel, quelqu’un va prendre une bribe de votre discours puis le publier sur les réseaux sociaux. Certains vont ensuite s’emparer de ce morceau sans savoir de quoi il s’agissait et ça prend des proportions parfois hallucinantes alors qu’au départ c’était juste une vanne.»

L’avez-vous déjà vécu?

«Non heureusement. Mais il y a des gens… Quand j’ai commencé sur Twitter, c’était presque un carnet de blagues même si j’ai toujours fait attention à ce que j’écrivais. Aujourd’hui, parfois, je vois des gens qui remontent tout mon fil Twitter en espérant trouver quelque chose d’un peu crapoteux. Mais pourquoi une personne remonte 30.000 tweets pour en reposter un ancien? La réponse c’est simplement pour faire un peu de buzz.»

Avec plusieurs années de recul, que retenez-vous de votre expérience dans «Touche pas à mon poste»?

«Je me suis beaucoup amusé. C’était une grande récréation les premières années. Nous étions des sales gosses avec une liberté de ton garantie par Cyril. On pouvait vraiment dire ce que l’on voulait. C’est ce que les gens aimaient car nous étions très libres. Puis l’époque a changé, la ligne éditoriale également. Si je suis très honnête, ma période préférée était celle lorsque nous étions des outsiders, quand personne ne nous attendait. À partir du moment où vous avez du succès, les gens vous regardent différemment. L’émission a évolué et c’est pour ça que je suis parti.»

Vous présentez toutes les semaines «Samedi d’en rire», une émission qui replonge les téléspectateurs dans des sketchs mythiques. Y a-t-il une certaine nostalgie de l’humour du passé?

«Je ne dirais pas une nostalgie, mais bien un grand respect. Je crois que c’est très important de savoir ce qui a été fait avant. On dit souvent qu’on pouvait rire avant mais que c’est moins le cas aujourd’hui. La vérité, c’est qu’à leur époque, certains avaient déjà beaucoup de courage. À partir du moment où vous faites un humour un peu limite, c’est compliqué. Je suis tombé sur des sketchs de Fernand Reynaud que je connaissais mal. Il raconte des choses assez fortes sur la société dans laquelle il vivait. Cela vous projette à l’époque de de Gaulle en France et certains sketchs en disent long sur un racisme latent. C’était très gonflé. On a tendance à croire que tout était facile avant, mais ce n’est pas le cas du tout.»

Jean-Luc Lemoine sera de passage en Belgique le 24 février au Trocadéro de Liège, le 25 février au Théâtre de Namur et le 26 février au Centre Culturel d’Auderghem.