Au théâtre cette semaine - 20 avril 2017

De l'émotion, de la réflexion et du beau texte sur les scènes. Metro fait le point sur les spectacles de la semaine.
par
Nicolas
Temps de lecture 2 min.

La Rive

Tous sur la même rive, celle de l'humanité, semble nous raconter le nouveau spectacle d'En Compagnie du Sud. Du nord au sud de l'Europe, Catherine De Michele a recueilli des témoignages de celles et ceux qui semblent au bord de leur vie, parce qu'on les a poussés à bout. Dans nos contrées, ce sont les voix épuisées de celles enfermées dans un système économique compressé. Dans cette grande distribution qui nous gave, les employées sont soumises à des règles absurdes. Mais un jour, ça éclate, elles n'en peuvent plus. Le contrat social est rompu parce qu'il nous a rendus esclaves.

Nancy Nkusi - Ph. Dominique Houcmant

On prend alors la route, celle qui défile à l'écran. Direction Lampedusa. Si la crise migratoire nous est souvent présentée comme une confrontation entre une Europe forteresse et des « hordes » de personnes en détresse. Ici ce sont les habitants d'une cité du bout du monde qui nous parle d'avoir été aussi poussés à bout. Davantage que leurs rivages comme on nous le dépeint souvent, c'est leur humanité qui a été prise d'assaut. Tout en rêvant leur destin, ils tendent les bras vers celles et ceux qui tendent les leurs depuis leurs coquilles de noix sur lesquelles ils ont bravé la Méditerranée et la mort. La survie se joue dans les deux camps qui n'en forment plus qu'un seul.

Ph. Dominique Houcmant

Racontées sur scène souvent à la première personne, ces histoires nous relient et misent tant sur l'espoir d'autre chose. Les cinq comédiennes (Martine De Michele, Nancy Nkusi, Adrienne D'Anna, Valérie Kurevic et Olivia Harkay) se font les justes porte-voix d'un récit partagé malgré les kilomètres de distance. C'est l'histoire d'une Europe en question, où l'humanité surgit là où ne l'attendait plus, dans le cœur et les tripes de ses habitants. Les « cris » ne sont pas hurlés mais chantés. Le quintet chapitre son récit de polyphonies a cappella fortes, qui nous saisissent, renforçant l'aspect choral d'un spectacle plein de sobriété et de délicatesse. À contre-courant des discours froids de la politique, « La Rive » nous prend par la main pour nous emmener à la rencontre des gens d'une même condition -humaine- sur les différents rivages d'un même continent, sur la rive d'un seul fleuve en regardant celle d'en face.

Dépaysement

Gianluca Casadei,Ascanio Celestini et Patrick Bebi - Ph. Hubert Amiel

On ne peut s'empêcher de relier « Dépaysement », l'autre spectacle présenté au National en ce moment, et « La Rive ». Simplement parce qu'ils ont conclu le dernier Festival de Liège en février. Mais plus sérieusement, parce qu'ils portent dans des proportions différentes la marque de l'auteur et conteur italien Ascanio Celestini. Ce dernier a en effet collaboré à la récolte de témoignages du spectacle de Martine De Michele, une recette qu'il connaît lui qui se veut porte-voix de ceux qu'on n'entend pas.

C'est encore le cas dans « Dépaysement » son dernier spectacle dont il est l'interprète principal. D'un petit intérieur modeste, il fait jaillir les histoires des habitants d'une ville portuaire. On passe d'une petite vieille cloîtrée dans sa modeste cuisine à la coiffeuse du quartier, en passant par l'ouvrier docker à l'artisan menuisier. Encore une fois chez Celestini, ce sont des regards faits de questions simples mais tellement cruciales. Loin de la théorie, celui qui aime passer en une demi-phrase du comique au tragique plonge ses mains dans le concret du quotidien. La crise économique, la figure de l'étranger, la solitude urbaine, comment se vivent-elles ? Tous les liens sont-ils brisés ?

Ascanio Celestini et Violette Pallaro - Ph. Hubert Amiel

À écouter le volubile Italien, on serait tenté de dire non, même si l'issue n'est pas toujours heureuse. Son flot de parole, quasi continu, s'apprécie comme une chanson traduite en direct par Patrick Bebi, avec lequel Celestini s'amuse à jouer dans un récit mené à vive allure. On trouvera la tempérance chez son autre partenaire de scène. Violette Pallaro (dont on a pu apprécier récemment le très joli « Tabula Rasa ») partage aussi ces histoires et trouve parfaitement ses marques à côté du maître. Ce trio réuni par l'accordéon de Gianluca Casadei (véritable quatrième acteur de ce spectacle) compose une mélodie que l'on connaît quand on est familier de l'univers celestinien. Mais la partition nous séduit encore par sa simplicité déconcertante, sa vivacité, son coté frontal parfois et l'aisance de son exécution.

Par les villages

L'histoire est simple. Devenu écrivain à la ville, Gregor revient dans son village natal pour régler l'héritage de ses parents. Il se voit très vite confronté à son frère, Hans, devenu ouvrier des chantiers résidentiels qui transforment les paysages bucoliques. Mais il est aussi soumis au regard de sa sœur, Sophie (Jeanne Dailler), qui espère tirer de la vente de la propriété familiale le coup de pouce pour sa future boutique. Mais l'intellectuel se désespère des ambitions de sa famille avec laquelle il semble ne plus avoir grand-chose en commun. Lui revient avec son souvenir d'une campagne fantasmée, mais ceux qui sont restés ont préféré la transformer pour y continuer à vivre.

Aurélien Labruyère et Angèle Baux - Ph. Michel Boermans

« Par les villages » est l'histoire de la confrontation des classes, de l'intellectuel face à l'ouvrier, de la ville face à la campagne. Mais tout le monde se parle avec une même langue, à la fois poétique et concrète. Ce texte est une montagne, ou plutôt une suite de cols. Les spectateurs sont comme les engagés du Tour de France qui les gravissent. Dans ce « poème dramatique » écrit en 1981 et qui rappelle parfois le théâtre antique, Peter Handke y démontre son aversion pour ce qu'il appelle les « trucs » du théâtre, notamment les dialogues ou la . Chaque personnage s'exprime tour à tour par longs monologues qui méritent une oreille attentive pour entendre ce débat sur ce que les Allemands appellent « Heimat », un mot intraduisible renvoyant à la terre natale, à la nostalgie du pays. Il y ajoute une cruelle analyse d'un monde qui change dans ses rapports de force et ses paysages. Toujours actuelle, la pièce est éminemment politique.

Taila Onraedt - Ph. Michel Boermans

Jean-Baptiste Delcourt n'a pas choisi la facilité pour une première création personnelle. Il faut saluer le travail du jeune metteur en scène qui ne  s'est pas laisser noyer par la riche matière première. Il se permet d'élaguer quelques personnages secondaires pour en retenir la démonstration principale et les moments forts. Avec une bande de jeune comédiens marrainés par Anne-Marie Loop (jouant les personnages de conscience), il a amené une théâtralité dans un texte qui a priori en comporte peu. Aurélien Labruyère campe un Gregor en doute grandissant. Angèle Baux fait de Hans un corps et une voix assez bruts. Et Taila Onraedt joue les fantômes observateurs et parvient à faire de son monologue final, une conclusion où l'espoir point enfin. Cette version de « Par les villages » mérite notre attention et nos applaudissement même si, encore une fois, elle réclame, répétons-le, un certain effort du spectateur. Mais la langue est belle et sa transposition sur scène très séduisante.

Nicolas Naizy