Sandrine Kiberlain fait ses débuts derrière la caméra dans «Une jeune fille qui va bien»

Sandrine Kiberlain réalise son premier film, «Une jeune fille qui va bien». «Je ne voulais pas me contenter de filmer de bons acteurs en train de jouer», nous raconte l’actrice et réalisatrice française.

par
Stanislas Ide
Temps de lecture 5 min.

Dans ‘Une jeune fille qui va bien’, Sandrine Kiberlain passe derrière la caméra pour conter l’histoire d’une jeune actrice pleine de rêves et d’espoir, mais dans le contexte inquiétant de l’Occupation. Un premier film fouillant la mémoire de sa famille juive avec délicatesse… et légèreté!

Pourquoi avoir choisi ce titre?

Sandrine Kiberlain : «Ce titre raconte tout le film! Enfin non, il révèle ma façon de raconter l’histoire qui s’y déroule. Je traite de la période de l’Occupation, et mon histoire est celle d’une jeune fille qui rêve de devenir actrice. Le problème, c’est qu’on en est en 1942, et qu’elle est juive. Bon, je n’allais pas appeler mon film ’Une jeune fille qui va aller mal’, ou ’Une jeune fille qui s’apprête à vivre un drame’ (rires). Non, c’est une fille que je filme dans tout ce qu’elle a de plus joyeux, épanoui, et jeune en fait. Il se trouve juste que l’intrigue est placée dans ce contexte. En ça, le titre représente le film que j’ai voulu faire.»

On met pourtant quelques minutes à situer l’époque du film en le visionnant…

«C’est voulu! J’ai fait le calcul, il faut compter douze minutes avant qu’une réplique ne situe fermement le récit dans la période de la seconde guerre mondiale. Je voulais le contraire d’un film commençant par une annonce solennelle du style ’Paris, juin 1942’. Le souhait, c’est que le film soit assez intemporel pour pouvoir se projeter dans l’idée que ça se répète aujourd’hui. D’ailleurs ça existe aujourd’hui, et demain probablement… C’est pour ça que les chansons de la bande originale sont si contemporaines, comme ce morceau ’Love Letters’ de Metronomy quand elle se met à courir (morceau sorti en 2014, NdlR). Certains aspects formels sont volontairement très sobres, pour éviter la caricature d’une reproduction historique ou d’une reconstitution.»

Vous testez pourtant plusieurs dispositifs dans la mise en scène, comme lors du baiser sous une lumière clignotante par exemple…

«Ah oui, je voulais quand même faire un film, je voulais pas juste filmer de bons acteurs qui jouent! Je voulais que chaque séquence ait un enjeu et une singularité, car il fallait bien la placer dans des situations problématiques, cette jeune fille. Je me suis beaucoup posé de questions sur ce qu’elle traversait comme émotions dans sa vie, pour qu’on ait envie de la suivre. Et j’ai des souvenirs de cinéma qui m’ont sans doute influencée inconsciemment. Vous parlez du baiser, ça me rend heureuse car je voulais aller plus loin qu’une rencontre amoureuse gratuite, et offrir un instant de cinéma. J’ai cherché une façon de faire en sorte que vous n’oubliez pas cet instant en sortant de la salle. Enfin, pas vous spécifiquement, ni le public dans sa totalité, mais moi comme spectatrice, si je venais à tomber sur mon film… J’ai donc eu cette idée de minuterie rythmant leur étreinte. C’est pareil avec son envie de porter des lunettes alors qu’elle voit très bien. Elle n’est pas la première à mentir sur sa vue, mais ça raconte quelque chose de cinématographique, car on voit tout en flou quand on tombe amoureuse. Et quand le mot ’juive’ est écrit sous son nez, elle peut se protéger en évitant de le voir net. Mon espoir est que toutes ces idées créent du rebondissement dans du quotidien, du presque rien.»

Cette histoire prend racine dans votre propre vie?

«Bien sûr, l’héroïne est comédienne, et ma famille a vécu ce drame (ses grands-parents paternels étaient juifs et polonais, et ont émigré en France, NdlR). On parle de soi quand on écrit, sans s’en rendre compte tout de suite. Mais ce n’est pas une copie conforme. Je me suis demandé pourquoi je donnais un père à mon héroïne alors que moi je n’en ai plus, ou un frère alors que j’ai une sœur. Je crois que c’était pour parler mieux de ce que je connais, sans parler de moi de façon impudique. Je ne voulais pas que ce soit un premier film égocentré ou nombriliste.»

Propos recueillis par Stanislas Ide au festival de Cannes

Notre crtique d’«Une jeune fille qui va bien»

Irène est une jeune fille avec des rêves plein la tête, et des papillons partout dans le ventre. Elle étudie le théâtre pour devenir actrice, et s’invente des problèmes de vue pour revoir Jacques, le bel ophtalmologue qui la rend toute chose. Mais nous sommes à Paris en 1942 et le drame de l’Occupation rôde. Et vient avec lui la discrimination, puis la chasse des citoyens juifs. Entre son père qui montre patte blanche à la police, et sa grand-mère qui s’en méfie, Irène sent bien que quelque chose se trame… sans parvenir à calmer sa foi en l’avenir! Pour son premier film en tant que réalisatrice, Sandrine Kiberlain prouve qu’elle vaut bien plus que l’image de dilettante qui lui colle parfois à la peau, et dont elle riait franchement dans la saison 4 de la série ‘Dix pour cent’. Dès la première scène, on sent son envie d’explorer les outils du cinéma dans une mise en scène jouette (coup de cœur pour la scène du baiser sous l’ampoule clignotante d’une minuterie). Le ton très théâtral des acteurs pourrait en agacer plus d’un, mais le charme opère pour peu qu’on se laisse emporter par ce portrait aussi joyeux que triste d’une jeunesse condamnée. (si) 3/5