«Les Pires»: un tournage chez les ch’tis

Attention, gros coup de cœur! ’Les Pires’ suit le tournage d’un film social dans le Nord de la France, à travers le regard des enfants Ch’tis choisis pour jouer dedans. Les réalisatrices Lise Akoka et Romane Gueret nous en racontent l’origine.

par
Stanislas Ide
Temps de lecture 4 min.

Comment avez-vous pensé à cette histoire de film dans le film, et sa confrontation entre l’équipe parisienne et les jeunes acteurs du Nord de la France?

Romane Gueret : «Lise et moi nous sommes rencontrées en dirigeant le casting d’un film ensemble. On a tourné un court-métrage dans la foulée sur la pratique du casting sauvage. C’est-à-dire aller dans des quartiers chercher des ’gueules’. Ce sont souvent des enfants, qui en général n’ont rien demandé en fait. Ils se font choper pour passer des essais, parfois ça fonctionne et ils se retrouvent propulsés comme ça dans le monde du cinéma. L’ennui c’est que la plupart du temps, on abandonne ces enfants avec leurs rêves une fois le film sorti. On a voulu approfondir ce sujet, et passer du casting à la fabrication même du film.»

Votre regard mélange humour et critique…

Lise Akoka : «On ne voulait pas d’une dénonciation facile du grand méchant loup parisien. On a fait partie de ce système après tout. Mais ces castings et les tournages qui ont suivi nous ont interrogées sur notre propre métier. C’est quoi la responsabilité de tourner avec des enfants issus de milieux précaires? Quelles sont les limites à ne pas franchir? Jusqu’où peut-on aller pour l’art, pour construire sa vision d’un message important? Et quand commence-t-on à enfermer ces enfants dans notre vision parfois condescendante des milieux populaires?»

Il n’y a pas que les enfants à l’écran. Il y a aussi l’équipe parisienne et le réalisateur du film…

Lise Akoka : «J’aime beaucoup le personnage de Judith, l’assistante du réalisateur. Elle débute ce métier et se montre assez naïve. Le cinéma est neuf pour elle, tout comme l’environnement du Nord dont elle ne vient pas du tout. À sa façon, elle est le double du spectateur. Elle s’attache à ces enfants et leur fait des promesses, sans réaliser qu’elle ne les contactera pas forcément après le tournage. Ils n’ont pas le même âge, ne viennent pas du même monde, et la maladresse de Judith est de leur laisser croire à une forme d’amitié.»

À l’inverse, le cinéma peut-il aider ces enfants?

Lise Akoka : «En tout cas, on a cherché à leur donner la parole, à montrer leur talent comme leur sensibilité, leur humour ou leur intelligence. Notre film est une ode à ces enfants-là. Le titre est évidemment ironique. Ces enfants sont souvent considérés comme les pires à l’école ou dans leur quartier, et s’avèrent être les meilleurs à cet endroit-là du cinéma. Ces jeunes avec une lumière intérieure qui aurait pu ne jamais s’exprimer.»

Romane Gueret : «On ne prétend pas que le cinéma peut changer la vie de ces enfants complètement ou les sauver de leur condition sociale. Mais on espère et on croit fort au fait que ça puisse être une bifurcation qui a eu le mérite d’exister à ce moment-là. Ça peut ouvrir des portes, ça peut permettre de trouver ses émotions aussi. Dans le film, chaque enfant du film tire quelque chose de différent du tournage auquel on les voit participer. J’espère que ça a réellement été le cas.»

LES PIRES

Quand une équipe de cinéma parisienne débarque à Boulogne-sur-Mer pour le tournage d’un film, les enfants du quartier foncent au casting, la tête pleine d’espoir. Mais pourquoi ce film décrit-il leur quotidien avec tant de pathos? La mise en abyme d’un film dans le film est un vieux dada pour questionner l’impact de la fiction sur la réalité. L’originalité de ces ‘Pires’ est de dépasser la célébration de la puissance du cinéma pour interroger sa responsabilité dans le déterminisme qui accompagne de nombreux films dits ‘sociaux’. Avec énormément d’humour et d’émotion, ‘Les Pires’ nous offre donc le meilleur.

4/5

‘Les Pires’ sort en salles ce mercredi

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