Laura Wandel :«La frontière entre le harceleur, la victime et le témoin est très mince»

Laura Wandel était aux anges lorsque son premier long-métrage ‘Un monde’ a été invité au Festival de Cannes. Mais cet honneur est totalement justifié, car son drame est une sacrée expérience. Même s’il se passe intégralement dans la cour de récré d’une école primaire.

par
Ruben Nollet
Temps de lecture 5 min.

Votre personnage principal, Nora, est très impressionné quand elle arrive pour la première fois à l’école primaire. De quoi vous souvenez-vous de votre première journée d’école?

Laura wandel: «À quel point c’ét ait difficile. Je ne savais pas comment les choses fonctionnaient, comment m’intégrer parmi les autres enfants, comment me comporter. Et je me souviens surtout de la cour de récré, du bruit insupportable et de tous ces enfants qui couraient partout. Je ne trouvais pas d’endroit à moi pour jouer.»

Vous êtes-vous vite habituée?

«Cela allait par vagues. Parfois, j’y arrivais bien et j’ai aussi beaucoup de beaux souvenirs de cette période de ma vie. Mais parfois, je me sentais à nouveau perdue et seule tout d’un coup. C’est comme ça que ça se passe dans un groupe de personnes. Ce n’est pas un parcours rectiligne. C’est ce que j’essaie de dire aussi dans ce film. Les relations dans un groupe changent tout le temps, et c’est ce qui le rend intéressant justement. Vous apprenez ainsi à vous adapter et à tenir dans la vie.»

Est-ce aussi la raison pour laquelle vous avez voulu faire un film sur ce moment dans une vie?

«Oui, ce premier jour à l’école primai re est un énorme choc pour un enfant. C’est la première fois qu’on vous sort vraiment du cocon familial. Oui, vous êtes allé en maternelle et vous savez donc un peu ce que c’est, mais l’école primaire c’est tout de même totalement différent. Certainement à Bruxelles, où je suis allée à l’école. Là, vous vous retrouvez dans une cour de récré avec tous les autres, donc aussi des enfants de 12 ans. Et il y a beaucoup moins de surveillance des adultes.»

Votre court-métrage ‘Les corps étrangers’ entraîne le spectateur à la piscine. Dans ‘Un monde’, il s’agit d’une cour de récré, et votre prochain projet concerne un hôpital. Qu’est-ce qui vous attire dans ces endroits?

«J’aime étudier un microcosme. Quand je commence à écrire, je pars souvent aussi d’un lieu s pécifique. Cela m’aide à me focaliser. Et une école est un lieu très riche. J’avais aussi l’idée de raconter une histoire sur deux enfants de la même famille qui veulent s’intégrer dans un nouveau groupe, qui ont du mal et qui se disputent donc.»

‘Un monde’ se déroule intégralement dans une école. C’était le but dès le départ?

«Absolument, et aussi de raconter toute l’histoire au niveau des enfants. Littéralement aussi, car je ne voulais pas lever la caméra plus haut que la hauteur de leurs yeux. Ces idées étaient là dès le début. Mais il a fallu du temps pour mettre au point le scénario. J’ai mis cinq ans pour arriver à l’essentiel.»

Abel, le grand frère de Nora se fait harceler à l’école. Après avoir fait ce film, avez-vous une idée plus claire de la raison pour laquelle des enfants harcèlent d’autres enfants?

«En tant que cinéaste, je trouve important surtout de ne pas juger, et aussi de ne pas chercher des réponses. C’est mon job de faire vivre une expérience au spectateur et qu’il voit avec les yeux d’un personnage. En dehors de ça, j’ai l’impression que la violence ne tombe pas du ciel. Un enfant, et en réalité un adulte aussi, ne devient violent que lorsqu’il n’est pas entendu et aidé. On ne peut résoudre cette violence que par l’écoute.»

Abel se met à la longue à harceler lui aussi, et on pourrait dire pareil aussi de Nora.

«Je pense que nous avons tous été à un moment donné harceleur ou victime ou témoin. La frontière entre ces trois positions est très mince aussi. De là qu’une victime devient si souvent harceleur, sans le réaliser parfois. C’est un phénomène très complexe et c’est donc une erreur de cataloguer des gens de harceleur ou de victime. Vous pouvez par exemple qualifier Antoine, le garçon qui embête Abel dans mon film, de harceleur, mais à d’autres moments, vous sentez que quelque chose cloche aussi dans sa relation avec son père. Son comportement violent est peut-être la seule arme qu’il a pour faire comprendre que ça ne va pas.»

Notre critique du film :

Dès la première scène, ‘Un Monde’ vous happe dans son univers et vous touche au cœur: c’est la rentrée en première primaire, et Nora pleure à chaudes larmes, en gros plan face caméra. Terrifiée de quitter la maison et son papa pour la première fois, elle est consolée par son grand frère Abel, qui dit qu’il sera là pour elle. Mais Nora voit bientôt le harcèlement dont Abel est victime à l’école. Plongée dans le chaos bruyant de la cour de récré, la petite Nora doit décoder ce microcosme enfantin, calqué plus ou moins consciemment sur celui des adultes -qu’on ne verra quasiment pas. Entre trahir ou aider son frère, cette petite fille devra choisir sa voie… Fort de son parti-pris de mise en scène (plans serrés, travail du son), ce film puissant nous (re)plonge dans la jungle qu’est l’école, et ses blessures du passé qui nous ont forgés. Avec une grande maîtrise et beaucoup de sensibilité, Laura Wandel tisse un récit intime, un huis-clos scolaire mais qui, en hors-champ, regarde la société. Un tour de force, une expérience immersive, à voir absolument en salle.(em) 4/5