Las Bestias, le film qu’il faut avoir vu cet été!

Un conflit de voisinage qui vire au cauchemar: rencontre avec le réalisateur Rodrigo Sorogoyen qui a réalisé le thriller oppressant «Las Bestias». L’un des films de cet été 2022!

par
Ruben Nollet
Temps de lecture 5 min.

Un petit village isolé dans les montagnes de Galice, dans le nord-ouest de l’Espagne. Un couple de Français qui ont une vision romantique de la nature. Des voisins appauvris qui n’arrivent pas à surmonter à leurs frustrations. Une dispute qui va vite dégénérer. Avec ces éléments, Rodrigo Sorogoyen (‘Madre’) construit son excellent thriller ‘Las Bestias’. Et l’histoire est tirée d’un fait divers.

‘Las Bestias’ s’inspire d’une histoire de disparition de 2010. Le film est-il proche de la réalité?

RODRIGO SOROGOYEN: «Seules les grandes lignes sont restées: un couple d’étrangers s’installe dans un petit village de montagne en Galice pour exploiter une ferme bio. Des tensions surviennent avec les voisins et la dispute va vite dégénérer. L’homme disparaît sans laisser de traces, mais la femme décide de rester dans le village malgré tout. Même si elle sait que les hommes qui ont la disparition de son mari sur la conscience vivent probablement à côté de chez elle. Dans le film, nous avons à peu près modifié tous les détails, des noms jusqu’aux motivations des personnages.»

Connaît-on vraiment ces motivations? Beaucoup de choses interviennent dans ce conflit entre voisins: un complexe d’infériorité espagnol vis-à-vis des Français, des tensions sociales entre riche et pauvre, un désaccord concernant l’installation d’éoliennes. L’affaire est très complexe.

«En effet, et avec ma co-scénariste Isabel Peña, j’ai essayé de faire en sorte que tout reste le plus ambigu possible. Les gens n’ont jamais une seule raison de faire ce qu’ils font. Il y a toujours plus derrière. Nous voulons refléter ça dans les personnages. À chaque fois nouvelle version du scénario, les personnages devenaient moins évidents.»

Vous pouvez donner un exemple?

«Prenez la mère de ces voisins. Dans la première version, cette femme était plus méchante. Malveillante même. Maintenant, on peut la voir de tas de manières différentes. Évidemment, ce n’est pas une sainte. Elle a certainement eu sa part dans les tensions entre sa famille et le couple de Français. Mais elle n’apparaît plus comme celle qui tire les ficelles en coulisses. La scène qui, pour moi, résume le mieux son attitude ou motivation, c’est lorsqu’elle dit ‘Mes enfants n’ont rien fait’. Elle préfère fermer les yeux, ne veut pas voir ce qui se passe, parce qu’il s’agit de ses enfants.»

L’histoire d’un couple étranger harcelé par des villageois agressifs fait penser à ‘Chiens de Paille’, le classique de Sam Peckinpah avec Dustin Hoffman. Ce film était-il un exemple pour vous?

«Bien sûr. C’était une référence évidente. En entendant parler de cette affaire, nous avons tout de suite pensé à ‘Chiens de Paille’. Nous voulions donc absolument en faire quelque chose de différent, car le film de Peckinpah est un chef-d’œuvre. La grande différence, c’est qu’il y a dans ‘Las Bestias’ une deuxième partie qui chamboule tout. L’histoire ne s’arrête pas à la confrontation violente entre les hommes.»

Faut-il voir ‘Las Bestias’ comme une histoire de masculinité toxique, ce thème si actuel?

«Lorsqu’un thème est au coeur des discussions, c’est pour moi, honnêtement, plutôt une raison de l’éviter. (rires) En soi, c’est mieux bien sûr de parler d’un comportement masculin répréhensible que de le balayer sous le tapis. Je ne vais pas nier non plus que ça joue dans le film, même si ce n’est certainement pas le thème principal. Cela frappe peut-être plus vu que le sujet est si brûlant, mais c’est aussi la façon dont nous avons écrit le scénario de ‘Las Bestias’, à un moment où personne ne parlait de masculinité toxique.»

Le titre original, ‘As Bestas’, est une allusion à la ‘Rapa as bestas’, une fête galicienne où les hommes tentent de maîtriser des chevaux sauvages à mains nues pour leur couper la crinière et les marquer au fer. La scène d’ouverture le montre d’ailleurs. Qu’est-ce qui vous fascine dans cette tradition?

«Elle symbolise le désir humain de dompter les forces de la nature. C’est formidable à voir, un mélange de beauté et de violence. Et de danger, car ces hommes peuvent se faire piétiner. C’est humain et animal en même temps. Tous ces thèmes sont aussi dans ce film.»

En quelques lignes

Au milieu du thriller dramatique espagnol ‘Las Bestias’, on assiste à une scène que les histoires de conflits ne montrent presque jamais: les deux parties sont au café et mettent leurs arguments sur la table. Et on comprend parfaitement les deux points de vue irréconciliables. Le différend concerne des éoliennes. Antoine, le Français qui s’est installé avec sa femme Olga à la montagne en Galice pour démarrer une ferme bio et retaper des maisons, ne les veut pas devant sa porte car elles perturbent la tranquillité qu’il recherche. Xan et Lorenzo, les voisins espagnols, voient le (petit) chèque promis par l’exploitant éolien comme un moyen d’échapper à la pauvreté. Pour les deux parties, c’est tout ou rien. ‘Las Bestias’ taille dans le vif du sujet: nos difficultés à gérer les désaccords et confrontations. Tragique, triste, oppressant, écrit au scalpel, magistralement filmé et magnifiquement interprété, un film qu’il faut avoir vu. 5/5