François Ozon de retour dans le drame romantique ‘Peter von Kant’: «Ce n’est pas un blockbuster»

Dans le drame romantique ‘Peter von Kant’, le prolifique réalisateur français François Ozon (‘8 Femmes’) s’attaque à un classique de son idole Rainer Warner Fassbinder. Et il remplace le personnage principal féminin par un homme. Un réalisateur passionné et détestable qui ressemble beaucoup à Fassbinder…

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par
Ruben Nollet
Temps de lecture 4 min.

Le titr e du film original de Fassbinder ‘Les larmes amères de Petra von Kant’ est complété d’un titre secondaire ‘Un cas de maladie’. Convient-il aussi à votre version?

François Ozon: «Je le pense, oui. La passion peut être une forme de maladie. Vous perdez la tête, vous n’êtes plus en état de réfléchir, vous devenez irrationnel. C’est pourquoi la passion a aussi un côté tragique. Et aux yeux du monde extérieur, elle paraît souvent grotesque. L’amour, c’est heureusement autre chose.»

‘Peter von Kant’ se passe, comme le film de Fassbinder, en 1972. Avez-vous envisagé de le transposer à l’époque actuelle?

«Je sentais que l’histoire ne fonctionnerait pas aujourd’hui. Personne n’accepterait qu’un cinéaste se comporte de manière aussi grossière. Le public penserait d’emblée à #MeToo, et je n’avais pas envie de ça. Et puis, j’aime aussi les années 1970. C’était une époque de grande créativité et liberté. Le cinéma était alors moins obsédé par le commerce, et les réalisateurs pouvaient porter un regard très radical et politique sur la société. Beaucoup de mes réalisateurs préférés travaillaient à l’époque, en Europe comme en Amérique.»

Auriez-vous préféré vivre et travailler à cette époque-là?

«Quand même pas. J’aime ma vie. J’ai la liberté créative que je veux. J’ai eu la chance d’avoir pu faire quelques films qui ont plu, comme ‘8 femmes’. Grâce à cela, je peux faire un ‘Peter von Kant’. Je sais très bien que ce film n’attirera pas des millions de gens. Ce n’est pas un blockbuster. Je ne veux pas non plus faire le nostalgique des années 1970. D’ailleurs, les réalisateurs de l’époque étaient souvent eux-mêmes nostalgiques des années 1950.» ( rires)

Il y a beaucoup de la propre vie et personnalité de Fassbinder dans ‘Les larmes amères de Petra von Kant’, dont s’inspire votre film. Oseriez-vous exposer de manière aussi implacable vos défauts?

«Ce n’est pas du tout mon ambition. Ma place est derrière la caméra. Je tiens énormément à ma vie privée. Fassbinder était un exhibitionniste. Mais c’était aussi un très bon acteur. Il avait souvent peu de moyens pour faire ses films. Il prenait donc régulièrement un petit rôle à son compte s’il ne trouvait pas d’acteur pour le faire. J’ai la chance de toujours pouvoir faire appel à de bons acteurs, et de pouvoir donc me planquer derrière mon casting. Mais je sais en revanche que certains éléments de mes films rappellent quelque chose aux gens qui me connaissent bien.»

Comme Peter von Kant dans le film, Fassbinder était connu pour son caractère irascible et son comportement parfois cruel sur le plateau. Vous arrive-t-il durant un tournage de vous dire «Là, je suis allé trop loin»?

«Non. Je ne pense pas être un tyran. Je n’aime pas les conflits sur un tournage. Je crois beaucoup plus en la collaboration. Je ne veux pas trahir ou tromper mes acteurs. Si nous tournons une scène de sexe, p. ex., j’explique toujours très bien comment je veux l’aborder, et je m’y tiens aussi. Certains réalisateurs aiment imposer leur pouvoir dans l’idée que les acteurs seront meilleurs ainsi. Je n’y crois pas du tout. Les acteurs n’ont pas besoin de ça. Ce sont des gens intelligents. Même s’il y en a aussi qui aiment bien qu’on les dirige d’une main de fer. Le masochisme ne leur étant pas étranger, s’ils veulent que je les traite de manière sadique, je peux le faire aussi.» (rires)

Review

Pas besoin de connaître le réalisateur allemand Rainer Werner Fassbinder (‘Querelle’, ‘Berlin Alexanderplatz’) pour apprécier ‘Peter von Kant’, mais cela ne fait pas de mal non plus. Le réalisateur François Ozon ramène complètement à l’avant-plan le sous-texte autobiographique de l’original de Fassbinder, le film et pièce de théâtre ‘Die bitteren Tränen der Petra von Kant’ (à l’époque avec un personnage principal féminin). L’acteur principal Denis Ménochet semble même un clone du cinéaste, par moments. Ménochet se met à nu dans ce rôle d’un réalisateur à succès doté d’un égo surdimensionné qui aboie sur son personnel et sa famille et se perd complètement dans sa passion pour un jeune acteur. Le film se passe essentiellement dans un seul et même lieu, ce qui crée un sentiment claustrophobe. En même temps, Ozon débarrasse les dialogues d’origine de leur côté littéraire poussiéreux et y met nettement plus d’énergie. ‘Peter von Kant’ demeure théâtral mais n’en est pas moins reconnaissable pour autant. 3/5