«Colin Farrell est un poète déguisé en acteur», estime Kogonada, le réalisateur d’After Yang

Qu’est-ce qu’un humain? Dans le film «After Yang», le cinéaste américain d’origine coréenne Kogonada pose de grandes questions.

par
Ruben Nollet
Temps de lecture 4 min.

Le cinéaste américain d’origine coréenne Kogonada aime le mystère. Il explique par exemple pourquoi il fait des films sous un pseudonyme à la place de son vrai nom. Son nouveau film ‘After Yang’, un drame de science-fiction tout en douceur sur un robot-nounou qui tombe en panne, pose d’ailleurs davantage de questions philosophiques qu’il ne donne de vraies réponses.

‘After Yang’ débute sur un générique mémorable, une sorte de concours de danse entre deux familles. D’où vient cette idée?

KOGONADA : «J’aime la danse en tant que forme d’art. Le cinéma et la danse vont très bien ensemble aussi. Mais ce n’était pas mon intention au départ d’imaginer une scène de danse. L’idée est venue de la conversation qu’ont les deux parents dans le film. La mère dit qu’elle veut qu’ils forment une équipe, et soudain j’ai vu dans ma tête cette famille qui dansait. La danse est pour moi la manière idéale de montrer que les gens sont sur la même longueur d’onde et sont vraiment unis. Cette scène me procure beaucoup de plaisir. On dirait un tourbillon de confettis au début du film. Une explosion d’énergie avant se mettre dans l’ambiance de l’histoire.»

‘After Yang’ est en fait de la science-fiction. Êtes-vous fan du genre?

«Quand même oui. Mais surtout d’un type de science-fiction spécifique, les histoires existentielles. Je peux davantage l’apprécier s’il ne s’agit pas que de technologie, si le film ose aussi aborder des thèmes plus grands. ‘Blade Runner’ est ce genre de film, ou ‘Arrival’ ou ‘Eternal Sunshine of the Spotless Mind’. Futuriste, mais quand même bien ancré dans notre monde.»

Dans beaucoup de SF, la technologie est une menace, comme dans la série ‘Black Mirror’. Votre film est exactement le contraire. Grâce à Yang, un androïde, les personnages apprennent des choses sur eux-mêmes. J’oserais presque le qualifier de ‘White Mirror’. Que représente la technologie pour vous?

«Je devrais peut-être écrire une série qui s’intitulerait ‘White Mirror’. (rires) Je ne trouve pas qu’il faille, par définition, raffoler de toutes ces nouveautés technologiques, mais il ne faut pas non plus nécessairement en avoir peur. Il faut garder son regard critique. Dans cette histoire, j’étais intéressé par le lien émotionnel qu’on peut avoir avec la technologie.»

Qu’est-ce qui vous a fait choisir Colin Farrell pour le rôle principal?

«C’est un des acteurs qui m’est tout de suite venu à l’esprit pour le rôle du père. J’ai vu la plupart des films dans lesquels il joue, et il rayonne toujours l’honnêteté. On sent aussi constamment une vraie vie intérieure dans ses personnages. Il n’a pas besoin d’en faire des tonnes. Il se met complètement au service du film. Je le qualifie de poète déguisé en acteur.»

‘After Yang’ parle de réincarnation, d’une certaine manière. Vous y croyez?

«Ma vision sur la foi et la spiritualité évolue constamment. Le monde est si grand et je me sens si petit. Mais je suis ouvert à tout. Je suis constamment à la recherche de sens dans cette vie. J’ai déjà pesé et questionné à peu près toutes les religions. Je tends vers le bouddhisme, mais là aussi, je n’ai pas de certitude absolue.»

Vous rappelez-vous de la première fois où vous avez pris conscience de la mort?

«Absolument. J’avais huit ans environ. J’étais dans ma chambre et je m’ennuyais. J’étais sur mon lit et, soudain, je me suis demandé comment c’était avant ma naissance. J’ai été submergé en comprenant qu’il y avait un temps où je n’existais pas. Et j’ai tout de suite compris qu’il y aurait à nouveau un temps où je n’existerais plus. J’ai couru vers mon père en pleurant. Il ne savait pas ce qui m’arrivait, du fait aussi que je n’arrivais pas à le formuler. Finalement, il m’a dit d’aller jouer dehors.» (rires)

Notre critique d’After Yang

À quelle époque précise se situe ‘After Yang’, on ne le sait pas. Pas très loin dans le futur, en tout cas. On suppose que le monde a vécu entre-temps une catastrophe (écologique?), mais sur ce contexte, le réalisateur Kogonada reste délibérément vague. Ce n’est pas non plus un film à grand spectacle. Ce sont les personnages qui comptent – deux parents et une fille adoptive – et le film les brosse avec douceur. Pour que l’enfant puisse se rapprocher de ses origines chinoises, la famille a acquis Yang, un gentil androïde baby-sitter. Lorsque Yang tombe en panne tout d’un coup, la fillette est inconsolable, et le père (Colin Farrell) promet de trouver une solution. Dans sa quête, il découvre cependant quelque chose d’étonnant. ‘After Yang’ est de la science-fiction qui clapote comme un petit ruisseau de montagne, un drame méditatif qui vous invite à réfléchir à ce qu’est un être humain. Kogonada a parfois un peu de mal à régler sa lentille thématique, mais le film rend tout à fait zen. (rn) 3/5