Avec ‘This Much I Know to Be True’, Andrew Dominik se replonge dans la musique de Nick Cave et Warren Ellis

Il y a six ans, le réalisateur australien Andrew Dominik (‘The Assassination of Jesse James’) avait filmé son ami Nick Cave alors que celui-ci traversait la période la plus difficile de sa vie. Le résultat, ‘One More Time with Feeling’, était un document musical tendre et déchirant. Avec ‘This Much I Know to Be True’, Dominik se replonge dans la musique de Cave et Warren Ellis, et il nous donne à nouveau des frissons.

par
Ruben Nollet
Temps de lecture 4 min.

Vous connaissez Nick Cave depuis vos 20 ans à Melbourne. Qu’est-ce qui a changé en lui?

Andrew Dominik: «Cela fait plus de 30 ans que je le connais. Le Nick Cave de l’époque n’a pas grand-chose de comparable avec le Nick d’aujourd’hui, sauf qu’il était déjà à l’époque très charismatique aussi. À Melbourne, tout le monde avait une opinion sur lui. C’était terrifiant aussi de le rencontrer. La première fois où je l’ai vu, il m’a grommelé quelque chose. (rires) Mais il est devenu une des plus belles personnes que je connaisse.»

Votre film précédent sur Nick, ‘One More Time with Feeling’, vous avez dû le faire alors qu’il venait de perdre un enfant. Que retenez-vous de cette expérience?

«Je pense que ce film nous a rapprochés. Nous nous entendions déjà bien, mais avec ‘One More Time with Feeling’, nous sommes devenus des amis proches. La grande question avec ce film, c’était comment m’y prendre avec lui. Comment faire avec quelqu’un qui est tellement au fond du trou? C’était flippant, car je ne savais jamais si j’allais avoir les mots justes. Et je ne voulais pas exploiter son chagrin. Pourtant, nous devions en parler, et nous avons trouvé notre manière. J’ai compris qu’il avait besoin de quelqu’un qui compatissait mais qui ne lui renvoyait pas constamment sa souffrance.»

En quoi ‘This Much I Know to Be True’ est-il différent du film précédent?

«Pour commencer, Nick est une autre personne. Dans le film précédent, on voit à quel point il est brisé, même s’il essaie de rester fort. Aujourd’hui, on voit quelqu’un qui s’est battu pour surmonter cette terrible situation et a retrouvé une joie de vivre. Je ne doute pas qu’il ressente toujours la douleur, mais il est plus créatif que jamais. Il a tiré des leçons de vie de son traumatisme, et il veut les transmettre. Il veut aider les autres. Il réalise que nous tous, nous perdrons tout à un moment donné. Cette vie nous reprendra tout finalement. Ce qui compte, c’est comment le gérer.»

Comment voyez-vous le rôle de Warren Ellis dans tout ça? Comment fonctionne leur collaboration?

«Il s’agit pour Nick de réussir à aborder Warren de la bonne manière. Warren est un génie de la musique. Donnez-lui quelques idées et quelques lignes de texte, et il inventera un son qui, selon lui, y correspond. Ce qui m’étonne, c’est que Nick a appris à s’adapter à ça. Nick croit beaucoup en la collaboration et il sent que le lien entre lui et Warren fonctionne vraiment. Sa méthode pour écrire des chansons a donc changé.»

De quelle manière?

«Leur principe, c’est ‘si vous avez fait quelque chose, ne le faites plus’. Vous devez essayer de vous réinventer constamment. Sinon, vous allez vous encroûter. C’est une approche qui ressemble à l’improvisation. Nick écrit les textes, Warren les traduit en bribes de musique, et ils réagissent l’un à l’autre. Plusieurs chansons de leur dernier album ‘Carnage’ ont été enregistrées d’emblée.»

Quelle a été votre approche visuelle pour ‘This Much I Know to Be True’?

«Nick voulait cette fois un film en couleur, car ‘Ghosteen’ se ressent comme un album en couleur. Et je voulais un éclairage en parfaite adéquation avec la musique, de sorte que vous disparaissez complètement dans la chanson. C’est une manière de filmer qui est plus musicale. Pour le reste, je me suis laissé guider par Nick et Warren. Ce qui est bien avec un documentaire, c’est qu’il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises prises. Vous essayez simplement de capter ce que vous voyez devant vous.»

Notre critique:

Ce n’est pas une surprise si, après le très émouvant documentaire ‘One More Time with Feeling’, Nick Cave veut aussi un film sur ses albums plus récents. ‘Ghosteen’ et ‘Carnage’ sont intimes aussi, mais il s’en dégage bien plus de positivité et de force. Rien d’étonnant non plus à ce que Cave fasse encore appel à son ami, le réalisateur australien Andrew Dominik (‘The Assassination of Jesse James’), qui en a fait cette fois une ode à la créativité. Au départ, on retrouve Cave dans son atelier -il fait de la céramique!- mais très vite on rejoint le studio et la salle de concert. Ce que nous montrent là Cave et celui qui est devenu son inséparable complice Warren Ellis, est tout simplement magique, tandis que Dominik assure un habillage visuel adéquat. Un régal. Et il n’est même pas nécessaire d’être un inconditionnel pour l’apprécier. Notez ‘This Much I Know to Be True’ dans votre agenda, car vous n’aurez que quelques jours pour le voir sur grand écran, là où il a toute sa place.

4/5