Avec «Arthur Rambo», le réalisateur de ‘Entre les murs’ se frotte aux réseaux sociaux

Dans «Arthur Rambo», Laurent Cantet, le réalisateur de ‘Entre les murs’, aborde les réseaux sociaux et la liberté d’expression. Rencontre.

par
Stanislas Ide
Temps de lecture 5 min.

Le réalisateur palmé de ’Entre les murs’ revient avec ’Arthur Rambo’, l’histoire d’un jeune écrivain issu des banlieues parisiennes, lâché par le monde littéraire quand son compte Twitter à caractère raciste est dévoilé. Le portrait rythmé d’une génération élevée avec les réseaux sociaux… et leurs contradictions.

Comment est née l’envie de réaliser un film sur l’affaire Mehdi Meklat, ce jeune écrivain qui a choqué le monde littéraire à la découverte de son double haineux sur les réseaux sociaux?

Laurent Cantet: «J’avais envie de réfléchir aux réseaux sociaux, à la place qu’ils prennent dans nos vies, et la violence qu’ils peuvent abriter. Et puis est survenu un fait divers en France, l’histoire de Mehdi Meklat, un jeune auteur qui, à dix-sept ans, tenait une chronique littéraire sur France Inter, avait publié deux romans, et était aussi bien capable de parler de la banlieue que du film d’auteur qu’il avait vu la veille. Un gars brillant qui avait pourtant créé un double haineux et anonyme sur les réseaux. Sous le pseudonyme ’Marcelin Deschamps’, il dispensait un humour douteux, à caractère raciste, et souvent à charge contre les Juifs et les homosexuels. J’ai donc découvert ses tweets un matin dans la presse.»

Quelle a été votre première réaction en découvrant ses tweets haineux?

«J’ai tout de suite trouvé les messages dégueulasses. J’ai été d’autant plus choqué que je ne suis pas un habitué des réseaux sociaux et que je connais mal leurs règles. Je n’arrivais pas à associer ces deux personnages. Comment est-ce que ça peut cohabiter dans un même cerveau?»

Le film est rempli d’écrans. Smartphones, ordinateurs, télévisions, vitres et miroirs. Pourquoi?

«J’ai voulu mettre en scène l’écrit, et faire vivre ces tweets. D’abord parce qu’ils permettent de garder une certaine distance avec l’empathie qu’on développe pour Karim (l’alter ego fictionnel de Mehdi Meklat dans le film, NdlR). Je ne voulais pas l’exonérer de la responsabilité d’avoir écrit tout ça. Je voulais aussi que ces messages interviennent dans le film comme ils le font dans la réalité, comme des parasites de la vraie vie, polluant l’image et le son de la scène qui se déroule derrière.»

Tout est à jeter dans les réseaux sociaux?

«Ça rend quand même un peu dingue, non? Je pense que cette course pour être le premier à réagir, le plus drôle, le plus brillant, et pour aligner les likes ou les followers, pervertit un peu la pensée, en la simplifiant. Cette simplification de la pensée est malheureusement un trait de notre époque. Mais le film tente d’être plus complexe que ce constat, à l’image de son héros en fait.»

Quid de la liberté d’expression brandie par Karim? Et du retour de bâton contre la culture dite ’woke’, ou progressiste?

«À propos des discours progressistes qui se renforcent, j’ai envie de dire que c’est assez légitime d’enfin réfléchir sous l’angle de ceux qui ont souffert, de ceux à qui on n’a jamais reconnu une place. Certains le vivent comme une injure, mais ça me semble plutôt souhaitable et responsable. Il y a des choses que je n’ai pas envie d’entendre ou de lire. Si on doit passer par une sanction de l’antisémitisme ou de l’homophobie pour lutter contre, je suis d’accord. Mais les jeunes très attachés à l’idée qu’il faut pouvoir tout dire, sans régulation. Bien plus que moi en tout cas…»

Karim traverse une période d’adulation avant de retomber. Un peu comme la médiatisation de votre Palme d’Or en 2008?

[Marque un long temps d’hésitation] «Non, gagner ce prix m’a fait excessivement plaisir. On était tous à Cannes, avec le sentiment soudain que le talent de ces jeunes gens était reconnu pour ce qu’il était. Généralement ils sont plutôt stigmatisés. Après, je suis assez lucide aussi sur le sens d’une telle reconnaissance. C’est-à-dire que la chance a joué son rôle. Arriver à ce moment-là, face à ces neuf jurés qui ne seront plus là l’édition suivante, c’est très circonstanciel. Je ne me suis pas senti champion du monde… Quoique si, juste le temps d’un soir (rires)!»

Notre critique de «Arthur Rambo»

Êtes-vous déjà tombé de haut? Karim, jeune écrivain partagé entre ses origines banlieusardes et les paillettes du monde littéraire parisien, découvre l’étourdissement d’une chute libre quand son compte Twitter anonyme est dévoilé. Sous le pseudo d’Arthur Rambo, il a passé des années à enchaîner les vannes racistes, antisémites et homophobes, à mille lieues des idées progressistes défendues dans ses livres. Ni une, ni deux, les réseaux s’agitent, et le prodige loué par la presse de gauche se voit soudain renié de tous les côtés. Un juste retour de bâton? Ou le symbole d’une société violentée par le jeu des réseaux sociaux? Laurent Cantet, le réalisateur palmé de ‘Entre les murs’, frôle l’allégorie didactique en suivant la remise en question par étapes de Karim (devant sa nana, ses potes, son agent, ses collègues…). Mais le sujet de l’impact des réseaux sociaux est fort et actuel, et décliné intelligence. Alors, on ne peut plus rien dire à l’ère du numérique? Faux! Mais ça ne rend pas nos paroles plus sensées pour autant… (si) 3/5