Vos stars en réalité : Quand des influenceurs arnaquent leurs fans

Avec le compte Instagram « Vos Stars en Réalité », Audrey affiche et dénonce les mauvais plans et les arnaques en tout genre des influenceurs sur les réseaux sociaux. Rencontre avec cette justicière 2.0.
par
ThomasW
Temps de lecture 6 min.

 Qui se cache derrière le compte Instagram « Vos stars en réalités » ?

« Je suis Audrey, j'ai 42 ans, je suis maman de deux enfants en bas âge et j'habite en Île-de-France, dans le 91.  Dans la vie, je suis orthopédagogue et je m'occupe d'enfants en difficulté d'apprentissage. »

Votre activité professionnelle n'a donc rien à voir avec Instagram !

« Non, rien à voir ! En fait, le projet est né lorsque j'ai décidé de faire une pause professionnelle. Dans ma vie précédente, j'avais une activité où j'avais des grandes responsabilités. Pendant 15 ans, ça a été très intense avec beaucoup de déplacements dans toute la France. J'ai eu besoin de faire une pause et d'avoir une coupure. Ce que j'ai fait pendant un an. À l'époque, je n'étais pas du tout dans la vie numérique. Pour me libérer l'esprit, je suis allée sur Instagram. Dans mon activité passée, j'étais très intéressée par le droit du travail et le droit social. Quand je suis tombé sur le compte d'un influenceur, je me suis dit : ‘Mon dieu, je ne savais pas que des gens qui de toute évidence n'ont pas trop fait d'études ont des vies de fous que moi-même je n'ai pas. Comment est-ce possible ?'. Rapidement, j'ai découvert que leur argent s'expliquait par la publicité et le placement de produits. J'ai alors commencé à regarder de plus près ce qu'ils proposaient à la vente… »

La plupart de ces placements de produits reposent sur du dropshipping. Qu'est-ce que c'est ?

« C'est une personne qui crée un site marchand pour vendre des produits qu'elle n'a pas en stock. La boutique est reliée directement au fournisseur qui se trouve en Chine. Lorsqu'on passe commande, le produit part de Chine vers la France, la Belgique ou le Luxembourg. À aucun moment, le propriétaire de la boutique n'a les produits entre les mains et ils sont vendus au minimum dix fois plus cher que sur Aliexpress. J'ai même vu du 50 fois plus cher. Je ne suis pas contre le dropshipping. On vit de l'importation chinoise. C'est la manière dont c'est fait qui me pose plus de soucis. »

Pourquoi avez-vous décidé de créer ce compte ?

« Pour faire de la prévention. Ma page n'est pas rémunérée, il n'y a pas de publicité et je fais uniquement de la prévention. L'idée est de dire aux jeunes de faire attention. Ce qu'ils voient n'est pas spécialement ce qui est. D'ailleurs, depuis peu, je me suis lancée dans la mise en place d'interventions dans les écoles sur la thématique de la prévention du numérique. »

Quelles sont les arnaques les plus courantes ?

« Il n'y a pas que le dropshipping. Aujourd'hui, certains font même de la publicité pour des dealers de drogues. Récemment, un influenceur suivi par 450.000 personnes conseillait d'aller voir un Snap sur lequel il y a des messages subliminaux comme une feuille de cannabis dans le coin de l'image ou une certaine musique. Ces derniers mois, il y a aussi eu des ventes de cartes de stationnement pour personnes handicapées et des permis de conduire. Récemment, c'était les faux résultats de tests PCR. J'ai été déstabilisée et je trouve que ça va loin dans la bêtise ! »

On dirait que ce genre de trafic passe davantage par Snapchat. Pourquoi ?

« Toutes les arnaques sont sur Snapchat. Certaines sont dupliquées sur Instagram mais il y en a beaucoup moins. Je ne sais pas pourquoi mais ce que j'ai compris c'est qu'Instagram était plutôt la carte de visite et Snapchat, la boutique. Apparemment, ça commence aussi à arriver sur TikTok. »

Quelle est votre publication qui a rencontré le plus de succès ?

« C'est une vidéo sur Pretty Little Things, une marque de vêtements promue par quasiment tous les influenceurs, qui expliquait comment était fabriqué ces vêtements au Royaume-Uni par des gens payés 3 £ de l'heure. C'est de l'esclavagisme. Le prix d'un vêtement inclut le bénéfice, le coût des matières premières, le salaire des gens qui le fabriquent et les charges. Quand on paye une robe 15 €, il faut bien se douter que les gens ne doivent pas être beaucoup payés pour la fabriquer. »

Quels sont vos conseils pour les consommateurs ?

« Interpeller les influenceurs, ça ne sert à rien car ils n'en ont absolument rien à faire. La seule chose qu'ils voient, c'est le chèque qui rentre tous les mois. Je conseille le site collaboratif Signal Arnaques (www.signal-arnaques.com) où les utilisateurs qui sont victimes d'une arnaque avertissent les autres.  Ensuite, il faut faire de la prévention. Il faut dire aux gens de faire attention, de ne pas faire des achats impulsifs, de prendre le temps de réfléchir et de faire des comparatifs

Si je dois donner un conseil, c'est aussi d'acheter local et d'aller dans les magasins. C'est la raison pour laquelle, lorsque je ne donne jamais les références chinoises d'un produit mis en avant par un influenceur. J'aime être cohérente. On vit dans un pays où les gens se plaignent de ne pas avoir de travail et de ne pas avoir des salaires assez élevés. Pour décence, je ne peux pas dire aux gens d'aller commander en Chine et de ne pas contribuer à l'économie de leur pays. C'est vrai qu'on va payer moins cher, mais en commandant sur ce genre de site, on rentre dans un cercle vicieux. Certains de ces articles se trouvent dans les magasins Action par exemple. Peut-être qu'on va les payer 3 ou 4 € de plus mais si on a un problème, le droit de la consommation s'applique et en plus, on contribue à l'emploi. »

À votre connaissance, des influenceurs ont-ils déjà été condamnés ?

« Il y a quelques années, une blogueuse a été condamnée car elle n'avait pas indiqué que certaines publications étaient des publicités. Mais c'est très rare. Pourtant, dans les trois quarts des cas, ce n'est pas indiqué. Dans le droit, les influenceurs, surtout ceux qui sont dans une agence, ne sont pas considérés comme responsables. Ils sont payés pour faire une publicité, ils ne sont pas responsables du fait que le site soit fiable ou non. Il y a actuellement une sorte de vide juridique autour de tout ça et ça manque de cadre. » 

Avez-vous déjà reçu des menaces ?

« Franchement, non. Mais je suis très expéditive. J'ai 42 ans, je n'insulte personne, donc quand on commence à m'envoyer des messages irrespectueux, je lis les deux premières lignes et si ça ne me convient pas, je bloque l'expéditeur et je supprime. J'ai aussi déjà eu des contacts avec des personnes qui tiennent des agences d'influence et ça c'est bien passé. Qu'on fasse la promotion d'une société de dropshipping ou qu'il manque les mentions légales sur un site, c'est une chose. Par contre, quand il y a des abonnements cachés, c'est autre chose. Quand on achète des contrefaçons d'Airpod à 10 € et que lors de l'achat, il y a une toute petite ligne qui dit que tu seras prélevé tous les mois de 49,90 €, ça me fâche. Quand j'ai découvert cela, j'ai contacté le patron de l'agence et je lui ai demandé d'arrêter les idioties. Je lui ai demandé s'il cautionnerait ça pour sa fille.  C'était allé trop loin pour moi. On s'est pris le bec, mais il a fini par retirer toutes ces pubs. »

Propos recueillis par Thomas Wallemacq