Une vague de plaintes agite les champs de fraises en Espagne

Des plaintes déposées par des saisonnières marocaines contre leurs employeurs en Espagne sèment l'émoi en Andalousie. Quelque 16.000 jeunes mères marocaines ont été embauchées pour la cueillette des fraises, dans des conditions de «grande vulnérabilité».
par
Camille
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Dans la province méridionale de Huelva -qui fait de l'Espagne le premier producteur de fraises d'Europe- les investigations judiciaires ont été lancées fin mai. Au moins 12 plaintes ont été enregistrées. Huit Marocaines et quatre Espagnoles, qui récoltaient les fruits dans trois domaines agricoles différents, ont dénoncé des situations de harcèlement au travail et sexuel, ainsi que des viols ou tentatives de viol. Belen Lujan, une de leurs avocats, affirme que des dizaines d'autres «ont trop peur pour le faire» ou sont déjà retournées au Maroc.

Dans cette province, le nombre de Marocaines recrutées directement dans leur pays pour la saison de la fraise (février-juin) est passé de 200 en 2001 à plus de 16.000 cette année. «L'Espagne est le premier exportateur de fruits et légumes d'Europe», rappelle le professeur d'économie José María Sumpsi, dirigeant de l'organisation Economistes sans frontières, mais «dans les régions de culture intensive, il n'y a quasiment plus de main-d'oeuvre espagnole». Pour postuler au Maroc, il faut obligatoirement être une femme de 18 à 45 ans, «issue du milieu rural», «en bonne santé» et «avoir des enfants de moins de 14 ans», pour s'assurer qu'elles retourneront au pays après la récolte.

Des emplois très mal payés

Les contrats de trois mois prévoient un salaire de 39 à 40 € pour 6H30 de travail par jour, avec repos le dimanche. Mais à notre arrivée, «on nous a dit que c'était la deuxième récolte et qu'on serait payées au rendement: 0,75 € la cagette» de 5 kilos, assure sous le couvert de l'anonymat une des plaignantes.

Le contrat prévoit aussi un logement gratuit mais «on dormait à six dans un préfabriqué» très rudimentaire, pour lequel on nous retirait «3 € par jour», ajoute-t-elle. «Analphabètes, les femmes signent ce qu'on leur dit et ne réclament rien, elles disent: 'tais-toi, si tu veux revenir l'an prochain'».

AFP

«En Europe, au 21e siècle, on ne peut pas vendre la fraise comme ça, pleine d'exploitation, d'abus, d'humiliation», s'indigne Diego Canamero, journalier agricole devenu en 2016 député du parti de gauche radicale Podemos. «L'entrepreneur peut respecter ou non le contrat signé, il n'y a pas de contrôle», accuse-t-il, en réclamant la création «d'un corps spécial d'inspecteurs visitant les champs au quotidien».

Le gouvernement régional d'Andalousie a annoncé le 13 juin qu'un protocole «tolérance zéro» était élaboré avec le secteur, pour l'an prochain. Il prévoit la formation des responsables de la cueillette aux «questions de genre», le recrutement de médiateurs neutres, la remise de tracts aux saisonnières pour leur expliquer leurs droits dans leur langue.